Qu’apprendre des expériences de partenariats public-privé dans les infrastructures de transport?
Un ralentissement de la demande d’usage de la voiture particulière?
Pendant plusieurs décennies, la demande de déplacements en voiture particulière a crû parallèlement à la croissance de la population et à celle de la richesse produite par habitant. Plus récemment, des signes tangibles mettent en évidence que celle-ci a stagné voire décrue. Ceci intervient en dépit de la poursuite, certes à un taux moindre, de la croissance économique. Une combinaison de facteurs permet de l’expliquer : vieillissement des populations, prise de conscience environnementale, attrait pour les nouvelles technologies d’information et stagnation des niveaux de vie. D'autres facteurs peuvent sans doute être cités, mais en réalité, il existe de fortes disparités entre les différentes régions du monde. Ce qu’il faut en retenir, c’est que la demande de déplacements se diversifie et que des spécificités régionales ou locales jouent désormais un rôle important dans l’usage de la voiture particulière. Cette nouvelle tendance contredit la croissance uniforme des décennies 1970-1990.
Cependant, certaines infrastructures routières et certains projets d’infrastructures revêtent un caractère essentiel. En effet, il n’existe pas d’alternative réellement performante dans d’autres modes de déplacement et leur insertion dans un réseau déjà maillé les rend incontournables. Ces infrastructures bénéficient d’externalités de réseau ou encore, la congestion routière rend leur réalisation hautement stratégique, à bien des égards. On comprend néanmoins que des spécificités locales ou régionales peuvent interagir sur ces points.
En conséquence, attirer des capitaux privés pour construire des infrastructures routières et rentabiliser de telles opérations va fortement dépendre des conditions propres à chaque projet d’infrastructure. Dans ces circonstances, on ne peut donc pas généraliser l’investissement privé alors que la réalisation de certaines infrastructures demeure indispensable.
Crises de financement, de la dette et des économies
Il n’est pas nécessaire de s’appesantir sur la succession des désordres financiers et économiques qui continuent de caractériser l’économie mondiale, avec certes des disparités importantes entre les grandes régions. Le résultat de la crise financière et de la dette entraîne une raréfaction de la disponibilité des capitaux privés et publics. La limitation importante des capitaux publics signifie que, plus que jamais, des politiques de « stop-and-go » vont mettre en péril la réalisation en continu des infrastructures et, plus encore, le financement de leur maintenance. On n’insistera jamais suffisamment pour dire à quel point l’absence de continuité dans la programmation et la réalisation des opérations d’entretien est préjudiciable à la qualité des infrastructures, mais aussi, à une minimisation des coûts totaux sur leur durée de vie.
La crise économique veut dire que la demande future, c’est-à-dire les niveaux de trafics, est plus incertaine que jamais. Elle rend l’équation économique, pour des investisseurs privés, hautement aléatoire à un moment où, attirer l’investissement privé dans les infrastructures de transport s’avère essentiel. On voit donc bien qu’il importe de repenser « l’économie » des investissements privés et des partenariats public-privé dans l’infrastructure routière et plus généralement dans les transports.
Que retenir des expériences de partenariats public-privé?
À la complexité de la situation soulignée dans les lignes précédentes, s’ajoute le fait que le bilan des partenariats public-privé dans les infrastructures de transport est, dans l’état actuel, mitigé. Nombre d’études et d’analyses le soulignent. Des pays comme le Royaume-Uni, qui en avaient fait la pierre angulaire de leur stratégie de réalisation d’infrastructures, et pas seulement dans les transports, s’interrogent.
Pour résumer en quelques points ces analyses, on peut dire que nombre de partenariats ont mis en évidence des coûts de réalisation d’infrastructures plus élevés que dans une option purement publique. Bien sûr, une telle affirmation ne peut s’appuyer sur une analyse intervenant à la suite de l’exécution d’un projet et de faits supposés. La renégociation des contrats de partenariats est presque toujours une constante. Elle est souvent moins avantageuse pour le partenaire public quand elle n’aboutit pas, simplement, à une prise en charge intégrale de la dette par ce dernier. L’hypothèse d’une démarche stratégique basée sur l’opportunisme, de la part du partenaire privé, ne peut être exclue. Elle consisterait à en dire le moins possible en première instance puis à renégocier âprement les termes du contrat. De plus, le potentiel d’innovation attendu du partenaire privé dans la conception, la réalisation et la gestion de l’infrastructure ne se manifeste également pas toujours. Enfin, les prévisions de trafic pour l’infrastructure en question sont le plus souvent particulièrement optimistes et rendent le projet et le partenariat, a priori, viable (cf. graphiques 1 et 2 sur les prévisions de trafic). Il s’agit d’un travers quasi permanent.
Quel futur?
À un moment où la raréfaction des capitaux publics semble perdurer, attirer des capitaux privés dans les infrastructures de transport doit demeurer à l’agenda des initiateurs de ces projets. Les errements soulignés dans les lignes précédentes correspondent à des phases d’apprentissage en matière de contrats « novateurs » à bien des égards. Dans le même temps, de nouveaux investisseurs privés doivent être attirés et il n’est par exemple pas absurde d’affirmer que si un projet comporte des risques importants, ce sont des capitaux à risques qui doivent y être associés et non des capitaux en quête de sécurité, comme des fonds de pension. On voit qu’une certaine démarche doit être appliquée et respectée. Il importe donc d’identifier les projets qui nécessitent des capitaux privés et que ceux-ci soient adaptés. Il ne s’agit pas non plus qu’ils se substituent aux capitaux publics de façon générale. Les bénéfices des partenariats ont alors toutes les chances d’excéder leurs coûts.
Pour contenir ces derniers, un certain nombre de règles sont à respecter :
- Une formulation adéquate des contrats de partenariats nécessite une expertise pointue du partenaire public. Ainsi, tout risque d’asymétrie de compétences et d’informations sera écarté. Une telle expertise est un investissement qui doit demeurer permanent et non pas ponctuel.
- Les contrats doivent « libérer » le potentiel d’innovation du partenaire privé. Il importe plus de rechercher un certain niveau de performance délivrée par l’infrastructure plutôt que de veiller à une mise en oeuvre stricte et programmée de processus ou de technologies. Intrinsèquement, le financement privé dispose de moins de garanties et peut s’avérer plus coûteux. Il est donc essentiel que tout le potentiel d’innovation du privé sur les autres aspects de la réalisation des infrastructures se matérialise. En un mot : si les paramètres essentiels du projet sont circonscrits dans un cahier des charges détaillé, et tel est souvent le cas, on ne peut guère s’attendre à des innovations ou des économies de coûts tangibles.
- Les prévisions de trafic sur l’infrastructure objet du contrat doivent être menées par des experts indépendants pour écarter tout processus endogène de manipulation des informations et des évaluations.
- Les engagements financiers correspondant aux contrats doivent être comptabilisés dans la dette publique pour éviter le risque d’une dérive financière aux contours dissimulés et non ratifiés démocratiquement. On évite ainsi un éventuel coût politique très élevé.
- Le cadre pour d’éventuelles renégociations du contrat de partenariat doit être posé à l’avance pour ne pas sombrer dans une situation incontrôlable.
En conclusion
Les partenariats public-privé peuvent s’avérer pertinents et utiles dans de nombreux contextes et, en particulier, ceux où il est crucial de mettre un terme à des politiques de « stop-and-go ». On pense à cet égard, notamment, à l’entretien des infrastructures. Par ailleurs, des contrats innovants peuvent permettre, s’ils sont bien conçus, une optimisation des coûts de l’infrastructure sur son cycle de vie. Ainsi, rendre les objectifs de ces contrats bien explicites permet d’élaborer des contrats pertinents. Associer le partenaire dont les intérêts correspondent à des enjeux de rentabilité et de rémunération est aussi important.
Les objectifs de politique des transports ne sont pas nécessairement omis pour autant : un péage qui participe à la rentabilisation d’une infrastructure peut aussi être un outil de gestion de la demande sur cette infrastructure et sur celles adjacentes. Bien conçus, des partenariats publics-privés peuvent répondre à des besoins d’infrastructures pertinents et débloquer un potentiel d’innovation crucial dans un contexte économiquement difficile.
Références :
- Améliorer la Réglementation des Partenariats Public-Privé pour les Infrastructures de Transport, Synthèse et Conclusions, Stephen PERKINS, Forum International des Transports, Avril 2013, Document de Référence FIT No. 2013-6.
- Évolution Récente de l’Utilisation de la Voiture dans les Économies Avancées – Vers un ralentissement de la croissance ? Synthèse et Conclusions de la Table ronde sur les tendances à long terme de la demande de mobilité, Paris, 29-30 novembre 2012, Kurt VAN DENDER, Martin CLEVER, Forum International des Transports, Avril 2013, Document de Référence FIT No. 2013-9.
Les Documents de référence du FIT sont disponibles à l’adresse suivante : http://www.internationaltransportforum. org/jtrc/DiscussionPapers/ jtrcpapers.html
Le Centre de recherche du Forum international des transports rassemble des statistiques et mène des programmes coopératifs de recherche couvrant tous les modes de transport. Les résultats de ses recherches, largement diffusés, facilitent l’élaboration des politiques dans les pays membres et contribuent aux débats du sommet annuel.