Premier pont routier à platelage en aluminium au Québec
Vers la fin des années 1990, le ministère des Transports du Québec (MTQ) a réalisé des études d’opportunité en collaboration avec l’Université Laval pour le remplacement d’un platelage de bois sur un pont à ferme métallique. L’une des options proposées était l’utilisation d’un platelage en aluminium développé en Suède. Les grands avantages d’un platelage d’aluminium comparativement à un platelage en bois sont l’étanchéité et la durabilité, tout en étant beaucoup plus léger qu’une dalle de béton armé. La légèreté du platelage s’avère intéressante lorsqu'il vient le temps de remplacer une dalle de béton sur une structure ayant une faible capacité portante. La diminution du poids de la structure permet d’augmenter le poids des véhicules qui peuvent y circuler. De plus, puisqu'il est préfabriqué, le platelage d’aluminium est beaucoup plus rapide à construire au chantier qu’une dalle de béton coulée sur place. L’option du platelage d’aluminium n’a toutefois pas été retenue cette fois à cause des difficultés et des coûts d’importation de la technologie.
Ce n’est que récemment, lors de la préparation des plans et devis pour la réfection du pont d’aluminium d’Arvida que le MTQ s’est intéressé de nouveau aux platelages en aluminium. Les délais et l’envergure du projet n’étaient cependant pas favorables à la réalisation d’un projet pilote. De plus, il était préférable de remplacer la dalle de béton du pont par une dalle de même nature pour conserver le caractère patrimonial du pont. L’option choisie était alors de vérifier la possibilité de remplacer un platelage en bois de pont acier-bois par un platelage en aluminium. Les ponts acier-bois sont constitués de poutres principales en acier sur lesquelles reposent un platelage et une surface de roulement en bois. On retrouve couramment ce type de structure sur les routes à faible débit en milieu rural au Québec. Le principal défaut de ces structures économiques est la perméabilité du platelage de bois qui diminue la durée de vie des poutres et des unités de fondation. Les platelages de bois doivent aussi être remplacés environ tous les 20 ans. Un platelage d’aluminium, en plus d’être perméable, aurait une durée de vie similaire à la durée de vie anticipée d’un ouvrage d’art, soit 75 ans.
Le projet ciblé pour la première utilisation d’un platelage d’aluminium est le remplacement d’un pont acier-bois dans la municipalité de Saint- Ambroise au Lac-Saint-Jean. Le pont projeté a une longueur de travée de 9,2 m, une largeur de 7,5 m et il comporte deux voies de circulation. Pour supporter le platelage d’aluminium, une structure typique de pont acier-bois constituée de cinq poutres en acier repose sur deux culées en béton. Le platelage a une surface d’environ 75 m2. Le projet de remplacement du pont a commencé au cours de l’automne 2013 pour se terminer à la fin de l’été 2014.
Le projet a été réalisé dans le cadre d’un appel d’offres public. Des plans et devis complets étaient présentés pour les fondations, la structure métallique et la correction du profil de la route aux approches. Le platelage d’aluminium, quant à lui, a été plutôt réalisé dans le cadre d’un devis de performance. Les entrepreneurs intéressés étaient alors invités à trouver un modèle de platelage en aluminium ayant été éprouvé dans le cadre d’un projet de pont routier en Amérique du Nord. Le devis comportait aussi certaines exigences telles que la conformité avec le Code canadien sur le calcul des ponts routiers (CAN/CSA-S6-06) et l’assemblage des extrusions en usine à l’aide de soudures par friction malaxage.
La soudure par friction malaxage (FSW – Friction Stir Welding) est un procédé de soudure à l’état solide (figure 1). Pour réaliser la soudure, les deux pièces à souder doivent être maintenues fermement l’une contre l’autre.
Un pion tournant à grande vitesse pénètre alors au point de soudure. La chaleur produite par la friction du pion et de son épaulement sur le métal fait en sorte que le métal soit dans un état qu’on pourrait qualifier de plastique ou pâteux. Avec l’avancée de la tête de soudage, les matériaux des deux pièces à souder se mélangent sous forme pâteuse et s’écoulent de l’avant vers l’arrière pour former un joint soudé. L’intérêt de ce procédé de soudage provient du fait que, contrairement au soudage traditionnel à l’arc, il n’y a pas de fusion de l’aluminium durant le processus. Le soudage sans fusion permet de conserver des propriétés mécaniques supérieures (limite élastique, contrainte à la rupture, résistance à la fatigue, etc.) aux procédés courants dans la zone soudée. Toutefois, puisque ce procédé est relativement nouveau, il n’est pas couvert par les normes relevant du bâtiment ou des ponts au Canada. C’est pourquoi, de manière conservatrice, des propriétés de soudure standard devaient être utilisées pour la conception du platelage dans le cadre de ce projet.
Le devis comportait aussi une clause stipulant que le platelage ne devait pas agir de façon composite avec les poutres, puisque ces dernières n’ont pas été conçues pour cet usage. De plus, le platelage ne devait comporter qu’un seul joint de chantier boulonné, c’est-à-dire que le platelage complet devait être livré sur le site en un maximum de deux sections. Grâce à sa légèreté, une section de platelage couvrant la longueur totale du pont pouvait en effet être transportée et manipulée aisément. Le platelage a donc été divisé en sections correspondant environ à une voie de circulation. Évidemment, pour les ponts ayant une plus grande portée, des joints transversaux seraient nécessaires, car les dimensions compliqueraient le transport. L’entrepreneur devait aussi respecter certaines exigences concernant le poids, la fixation du dispositif de retenue, la fixation du tablier aux poutres et les extrémités du tablier au point de contact avec les unités de fondation.
C’est le platelage commercialisé par AlumaBridge LLC qui a été retenu par Paul Pedneault inc., l’entrepreneur ayant remporté l’appel d’offres pour la reconstruction du pont. Le platelage a été fabriqué dans les usines de l’entreprise Norvégienne SAPA aux États-Unis. Quatre platelages de ce type ont déjà été installés aux États-Unis, le dernier ayant été assemblé à l’aide de soudures par friction-malaxage. Ce platelage est composé d’extrusions d’environ 200 mm de hauteur par 300 mm de largeur (figure 2), placées longitudinalement par rapport au pont. Ces extrusions ont une longueur égale à celle du pont et sont soudées aux semelles supérieure et inférieure pour former de grands panneaux d’environ 3,75 m de largeur (figures 3 et 4).
Bien que le produit présenté ait été éprouvé dans le passé, certains défis se sont tout de même posés en cours de production des dessins d’atelier. Comme ce produit n’avait jamais été utilisé au Canada, la conformité avec les normes canadiennes a dû être validée. Aussi, le fabricant devait développer un système de fixation pour le dispositif de retenue qui devait être attaché au tablier et à la structure d’acier, une première pour lui. En effet, un dispositif de retenue de faible capacité, adapté aux routes à faible débit, était présenté sur les plans. Toutefois, comme ce dispositif avait au départ été conçu pour être fixé sur un platelage de bois, la partie inférieure du dispositif devait être modifiée pour s’adapter au platelage d’aluminium. De nouveaux éléments pour le joint de chantier boulonné et la fixation du platelage aux poutres ont aussi été développés pour respecter les exigences du MTQ.
Mentionnons que les véhicules ne peuvent circuler directement sur le platelage en aluminium, la surface serait trop glissante et l’effet abrasif du passage des véhicules userait rapidement ce métal tendre. De plus, il est aussi difficile de faire adhérer de l’enrobé bitumineux sur une surface lisse comme celle-ci. Pour le pont de Saint-Ambroise, un revêtement antidérapant mince appelé Bimagrip LS était exigé. Ce revêtement est un système au polyuréthane à trois composantes auquel on ajoute des granulats de un à trois millimètres de diamètre. Il est à la fois flexible, durable et a un haut coefficient de friction, les véhicules peuvent donc y circuler sans protection supplémentaire. Ce revêtement, associé à un platelage d’aluminium, est un excellent choix lorsqu'on recherche un poids minimal, car il pèse moins de deux kilogrammes au mètre carré. Ce type de revêtement peut aussi servir de base à une couche d’enrobé bitumineux. Ce n’est toutefois pas cette option qui a été retenue afin de valider la performance du revêtement sous la circulation routière et l’entretien hivernal. En effet, ce revêtement est peu utilisé sur les ponts routiers au Québec jusqu'à présent.
Avant sa mise en service, le pont subira un essai de chargement pour valider le comportement du platelage. Des capteurs fixés au platelage et aux poutres mesureront les déformations du tablier alors que des camions normalisés circuleront sur le pont. Les informations recueillies lors des essais vont permettre de valider certaines hypothèses de calcul faites au moment de la conception et serviront de référence aux projets ultérieurs.
À la suite de l’essai de chargement, le comportement du pont sera validé par des inspections annuelles et générales selon le système d’inspection du MTQ. Ces inspections permettront de connaître le comportement du système structural sous les charges routières mais aussi, et surtout, dans les conditions climatiques hivernales rigoureuses du Québec. Si les résultats sont satisfaisants après la première année d’exploitation de l’ouvrage, ce type de platelage pourrait de nouveau être considéré dans le cadre de remplacement de platelage ou de tablier de pont acier-bois ou de poutre triangulée.
C’est donc à la fin de l’été 2014 que le premier pont routier à platelage en aluminium sera mis en service. Ce projet pilote permettra de valider l’intérêt, pour le ministère des Transports du Québec, de remplacer certains platelages traditionnels par ce nouveau type de platelage préfabriqué fait avec un matériau produit en grande quantité au Québec.