Le pont en bois d’Albanel

Vendredi 21 septembre 2012
Infrastructures de transport, Infrastructures de transport
Pont d'Albanel

Résumé

Dans le contexte actuel d’une valorisation des produits dérivés du bois et à la lumière des différentes expériences déjà réalisées en sol nordaméricain, le ministère des Transports du Québec a convenu de favoriser la construction d’un pont avec ce type de matériau. Le concept retenu pour le pont d’Albanel consiste en un tablier dont les poutres, les diaphragmes et le platelage sont en bois d’ingénierie exclusif (proprietary product), plus précisément en bois lamellé-collé fabriqué d’épinette noire du Québec. Le concept du pont comprend un platelage étanche et des glissières en bois ayant subi des essais d’impact dynamiques (crash tests). Après la construction du pont en novembre 2009, des essais de chargement ont été réalisés avant sa mise en service, et ce, dans le cadre d’un projet de recherche visant à évaluer la performance du bois d’ingénierie en situations réelles d’utilisation. Le projet de recherche incluait également la mesure en continu de différents paramètres sur le pont jusqu’à l’automne 2010, pour finalement être complété par une autre série d’essais de chargement.

Contexte

L’utilisation du bois a depuis presque toujours été présente dans l’organisation de la vie humaine. À l’origine, utilisé comme abri ou bien comme moyen de se déplacer, le bois a été par la suite dans l’ombre d’un grand matériau de structure : la maçonnerie. Néanmoins, le bois a acquis au fil du temps un certain statut, une certaine noblesse, dans les limites de sa capacité. L’acier et le béton armé se sont par la suite imposés comme matériau optimal de résistance structurale, notamment pour les charpentes de pont.

Dans un pays relativement jeune comme le Québec, le bois s’est révélé un matériau et un outil de développement efficaces, entre autres pour les ponts. Il serait peut-être à propos de souligner ici la contribution du savoir et de l’expérience de la culture anglaise dans l’élaboration d’un réseau de transport primaire. Il en a découlé, durant une certaine période, un parc de ponts adaptés aux conditions rigoureuses des saisons : les ponts couverts. La grande ténacité structurale de ces ponts à treillis en bois a fait qu’il en reste encore environ 80 exemplaires, en grande partie fonctionnels, mais évidemment à capacité limitée.

Au cours de la période faste de construction de nouveaux ponts dans les années 1950 à 1970, quelques concepteurs ont opté pour le bois lamellé-collé comme matériau de poutres et de platelage. Le bois a par la suite été pleinement intégré au concept des ponts acier-bois. Poutres en acier, culées et platelage en bois, le pont acier-bois a été un choix privilégié pour franchir nombre de cours d’eau. La simplicité et l’efficacité du concept ont fait que ce type de pont s’est fortement implanté jusqu’à représenter environ le cinquième de l’ensemble des 10 000 ponts du réseau québécois. Un grand nombre de ces ponts, dits « semi-permanents », ont déjà atteint ou sont en voie d’atteindre la limite de leur vie utile.

C’est dans ce contexte d’utilisation de matériau, mais aussi de développement social, que se situe le projet du pont d’Albanel, un pont tout en bois, conçu comme une solution de rechange potentielle au pont acier-bois, mais aussi conçu dans le cadre de l’utilisation intégrée d’une ressource indigène renouvelable.

Historique

Sur le plan historique, le projet du pont d’Albanel est l’aboutissement de plusieurs facteurs conjoncturels. Tout d’abord, les liens étroits entre les responsables politiques des États du nord-est américain ont engendré, entre autres, une série d’échanges techniques sur l’utilisation du bois comme matériau principal de pont. C’est ce contexte qui a incité le ministère des Transports à considérer le potentiel d’utilisation d’un bois d’ingénierie, le tout parallèlement à l’implantation d’une nouvelle stratégie gouvernementale d’utilisation du bois dans la construction non résidentielle au Québec. Il en est résulté une volonté de construire quelques ponts expérimentaux tout en bois. Une suite de circonstances, dont une à saveur régionale, a ouvert la voie au projet de reconstruction du pont d’Albanel.

Matériau

En tant que projet lié à une stratégie gouvernementale plus globale, le Ministère a convenu de privilégier l’utilisation d’un bois d’ingénierie local exclusif, de type Nordic LamTM, qui est un bois lamellé-collé fabriqué d’épinette noire du Québec. Ce bois lamellé-collé est composé de lamelles faites d’éléments de section carrée ou légèrement rectangulaire d’au plus 50 mm de côté et assemblés en bout par joints structuraux en dents de scie. En plus des joints en bout, le bois de type Nordic LamTM est constitué de lamelles qui sont collées sur leurs faces, résultant en des assemblages latéraux, tant en largeur qu’en hauteur, ce qui le différencie du bois lamellé-collé classique constitué de lamelles pleine largeur et assemblées en hauteur.

L’une des principales particularités de ce bois lamellé-collé est que les lamelles qui le composent sont faites de courtes pièces dont la longueur varie de 700 à 900 mm. Cette caractéristique fait que le produit n’est pas totalement couvert par la norme canadienne CAN/CSA-O122 Éléments de charpente en bois lamellé-collé qui établit la longueur minimale des lamelles à 1,8 m (6 pi). Ainsi, afin de faire reconnaître son produit, le fabricant a procédé à une démarche d’acceptation auprès du Centre canadien de matériaux de construction (CCMC) (organisme lié au Centre national de recherches du Canada [CNRC]) par différents essais de résistance visant à déterminer les propriétés mécaniques de ce type de bois lamellé-collé. Ces essais ont permis aussi de déterminer des valeurs propres à l’épinette noire, essence qui présente dans le contexte québécois des caractéristiques de résistance supérieures en raison de la nordicité de son habitat (50e parallèle). De plus, une reconnaissance de la qualité de production et de la fiabilité du processus de fabrication par un programme d’assurance qualité a également été obtenue, le tout conformément à la norme CAN/CSA–O177 Règles de qualification des fabricants d’éléments de charpente lamellés-collés, et ce, de concert avec l’organisme américain APA-EWS qui est officiellement reconnu dans ce domaine d’application.

Concept/conception

Sur la base des expériences de ponts en bois réalisées aux États-Unis et guidé par un certain conservatisme, le Ministère a opté dans un premier temps pour un type de pont pouvant s’adapter aisément à de courtes portées (6 à 23 m). Un tablier de type poutres et platelage non mixte a donc été retenu pour le projet. La conception du système structural du tablier s’est basée sur la norme CAN/CSA-S6 Code canadien sur le calcul des ponts routiers. Les propriétés mécaniques du bois lamellé-collé utilisées pour les calculs de conception ont été prises dans le rapport d’acceptation du CCMC. Certains critères de conception, comme ceux ayant trait aux déplacements relatifs entre deux panneaux adjacents du platelage, ainsi que presque tous les détails d’assemblage des éléments du tablier se sont basés sur les spécifications et les plans types de ponts du Service forestier du ministère de l’Agriculture des États-Unis (USDA).

Ainsi, il en a résulté le concept d’un pont de 11 m de portée et d’une largeur carrossable de 6,7 m pour deux voies de circulation. Le tablier du pont est composé de 10 poutres rectangulaires de 705 mm de hauteur par 184 mm de largeur, poutres supportant des panneaux de 927 mm de longueur sur 184 mm d’épaisseur sur la pleine largeur du tablier. La faible hauteur des poutres est liée à des contraintes strictes de configuration. L’établissement préalable d’une élévation inférieure sous le pont en raison de recommandations d’une étude hydraulique ainsi que celui d’une élévation supérieure sur le pont en raison du profil projeté de la route ont imposé par le fait même la hauteur des poutres, ne laissant au concepteur que le choix du nombre de poutres et l’espacement entre celles-ci.

Le pont d’Albanel est doté d’un dispositif de retenue tout en bois répondant aux exigences d’essais d’impact dynamiques reconnus (crash tests) effectués sur des glissières de ponts forestiers américains.

Parmi les détails de conception, il est à noter que le système de liaison poutres/platelage à l’aide d’attaches en aluminium permet une bonne retenue verticale et latérale ainsi qu’un certain mouvement longitudinal. De plus, contrairement au platelage des ponts acier-bois, le concept du platelage du pont d’Albanel est de nature « étanche », avec l’intégration d’une membrane autocollante et d’un enrobé comme surface de roulement, ce dernier étant posé selon des pentes transversales pour permettre le drainage du tablier. En appui à la démarche de conception, des essais de compatibilité et d’adhérence ont été menés en collaboration avec le laboratoire du Ministère. Le concept d’étanchéité du tablier répond avant tout au principe de base visant à protéger le bois le plus possible, et tout particulièrement l’épinette noire qui ne peut pas être traitée sous pression en raison de sa densité élevée.

Construction

En raison des délais inhérents à une approche de conception « sur mesure » (custom), le processus d’appel d’offres a été scindé en deux parties. Premièrement, un pré-achat de la totalité des éléments du tablier a permis une fabrication préalable bien contrôlée en usine. Ensuite, un contrat de construction a été préparé pour la mise en œuvre du pont sur le terrain.

Comme unités de fondation, des culées en bois de type caisson à claire-voie ont été érigées. Leur construction a nécessité la mise en place d’un batardeau en palplanches métalliques afin de réaliser une bonne fondation superficielle. L’érection du tablier s’est faite sans problèmes majeurs : la mise en place des poutres et des diaphragmes, ainsi que la pose des panneaux formant le platelage, a été relativement facile grâce à l’utilisation d’une grue appropriée.

Parmi les ajustements sur le chantier, on note la pose d’un contreplaqué sur le platelage pour des raisons d’entretien à moyen terme. En effet, l’intégration de cette sous-couche au niveau du platelage permettra de resurfacer l’enrobé sans endommager les panneaux structuraux. Sur le chantier, en raison des conditions automnales de plus en plus tardives, un abri temporaire a été érigé pour pallier les conditions atmosphériques défavorables pouvant survenir.

Suivi de performance in situ

Considérant le caractère expérimental du pont d’Albanel, le Ministère a convenu de réaliser un projet de recherche en vue d’évaluer la performance du bois d’ingénierie de type Nordic LamTM dans des situations réelles d’utilisation. Le projet de recherche consistait en une collecte d’informations en fonction de différentes charges et conditions afin d’analyser le comportement du tablier du pont et de valider certains paramètres de conception.

Une acquisition ponctuelle de données a été réalisée lors de deux essais de chargement, l’un juste avant la mise en service du pont en novembre 2009, et l’autre, un an après. Un enregistrement de données en continu a également été effectué entre les deux essais de chargement, en conditions normales d’utilisation.

Ainsi, les principaux paramètres ciblés par le projet et déterminés à partir de mesures de déformation à l’aide de capteurs optiques (cordes optiques et extensomètres) sont les suivants :

  • la déflexion (instantanée) des poutres sous des charges de service;
  • la répartition transversale des charges sur les poutres;
  • le déplacement relatif entre deux panneaux de platelage adjacents;
  • la position de l’axe neutre;
  • le fluage des poutres.

Les autres paramètres ayant été mesurés sont la fréquence naturelle de l’ouvrage à l’aide d’une masse ponctuelle et d’un accéléromètre, ainsi que les variations d’humidité et de température, ces dernières afin de valider des hypothèses de calcul. Mentionnons entre autres que, lors de la conception, les éléments de tablier ont été considérés pour une utilisation en milieu humide, c’est-à-dire une teneur en eau dans le bois dépassant 19 %. Cette hypothèse de conception a entraîné l’application de facteurs de réduction sur toutes les propriétés mécaniques du bois lamellé-collé. Un enregistrement du taux d’humidité dans le bois a été effectué en mode continu pendant un an afin de vérifier cette hypothèse.

Des données ont été enregistrées lors du premier essai de chargement, à partir de huit configurations de charges avec deux véhicules lourds (camions : ≈ 25 t), et selon trois conditions de mouvement statique, quasi statique (vitesse de 5 à 15 km/h) et dynamique (vitesse de 30 à 50 km/h). La valeur maximale de déflexion des poutres mesurée à partir d’un arpentage de précision lors des essais statiques a été de 18,4 mm, valeur presque identique à la valeur théorique calculée de 19 mm. Les mesures obtenues lors des essais ont permis de déterminer un facteur d’essieu moyen en flexion de 0,219, comparativement à la valeur théorique de 0,230 de la norme S6. Le déplacement vertical moyen mesuré entre deux panneaux adjacents lors du passage des camions a été de 0,25 mm, comparativement à la valeur théorique de 0,13 mm calculée selon les documents de l’USDA. Il est cependant à préciser que le déplacement mesuré est très inférieur à la valeur limite de 2,5 mm (0,1 po) spécifiée par l’organisme américain. De plus, des mesures de déformation ont permis de constater que la position de l’axe neutre se situe presqu’au centre de la poutre, confirmant ainsi le caractère non mixte du tablier.

Les résultats de ce projet de recherche ont permis une évaluation de certains paramètres de conception d’un pont en bois lamellé-collé. Une synthèse des mesures relevées en continu a été effectuée pour une année. Les résultats ont démontré, entre autres que, bien que le taux d’humidité du bois varie en fonction du taux d’humidité relative de l’air, il s’est toujours maintenu en deçà de 16 %, c’est-à-dire en deçà de la limite supérieure pour une utilisation en milieu sec (l’hypothèse d’une utilisation en milieu humide s’avère donc sécuritaire). Par ailleurs, la comparaison des résultats des essais de chargement (2010 comparé à 2009) a montré une certaine constance pour plusieurs paramètres, dont le facteur d’essieu, la flèche sous charges vives, la position de l’axe neutre, le déplacement vertical relatif entre deux panneaux de platelage adjacents et la fréquence fondamentale de vibration. Les valeurs obtenues pour le facteur d’essieu et la flèche sous charges vives sont très similaires aux valeurs théoriques calculées selon la norme CSA-S6. Les résultats obtenus sur la position de l’axe neutre ont confirmé également l’hypothèse de base voulant que les poutres principales agissent comme des sections non mixtes. Le déplacement vertical relatif mesuré entre deux panneaux de platelage adjacents lors du passage des charges vives s’est avéré supérieur à la valeur théorique calculée selon les documents de l’USDA, sans toutefois excéder la valeur maximale prescrite par cet organisme. La fréquence fondamentale de vibration mesurée est dans l’ordre de grandeur de la valeur théorique obtenue à l’aide d’un programme informatique. En résumé, tous les résultats ont permis de constater que de façon générale le comportement du pont en conditions réelles de service correspond bien à celui anticipé théoriquement. Les résultats obtenus n’ont cependant pas permis de tirer de conclusions claires relativement au fluage.

Conclusion

En conclusion, le projet du pont d’Albanel n’aura pas été seulement une expérimentation isolée pour le Ministère. En effet, la construction d’un pont similaire a été réalisée dans la municipalité de Sainte Thècle en 2011 et un projet de construction d’un pont en arc dans la municipalité de Portneuf est prévu cette année.

D’autres propriétaires ont exploré la construction de ponts en bois lamellé-collé au Québec, dont l’Université Laval et Les Chantiers Chibougamau. Ces projets, ainsi que ceux du Ministère, ouvrent un créneau pour l’utilisation du bois lamellé-collé dans le domaine de la construction non résidentielle.

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
17 juin 2024

AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
4 juillet 2023

MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
4 juillet 2023

AQTr