Le pont Bishop - Une conjugaison de structure et d'esthétique

Mercredi 22 octobre 2014
Infrastructures de transport, Infrastructures de transport
Le pont Bishop

Introduction

On entend fréquemment que les ponts routiers nouvellement construits ne sont que des masses de béton, ayant perdu une signature d’« ouvrage d’art ». Le fait d’introduire le matériau bois comme principal constituant de ponts semble actuellement être un facteur pour modifier cette perception, dans une nouvelle conjugaison de structure et d’esthétique.

Historique

Les deux premiers ponts en « bois lamellé-collé de nouvelle génération » ont été construits récemment sur le réseau routier du ministère des Transports du Québec (MTQ) dans les municipalités d’Albanel (2009) et de Sainte-Thècle (2011). Ces ponts ont été basés sur un concept de structure composée de poutres droites, c’est-à-dire un concept pour une portée de pont inférieure à 24 m. À la suite de ces deux réalisations, le MTQ a manifesté sa volonté d’explorer un concept différent et plus audacieux de pont arqué en bois lamellé-collé à tablier supérieur, concept apparenté à un pont forestier réalisé à la baie James en 2008 par Les Chantiers Chibougamau au-dessus de la rivière Témiscamie.

Ce troisième pont sur le réseau routier du MTQ représente un prototype, construit à titre expérimental. Cependant, pour réaliser cette structure, il était nécessaire de trouver un site répondant à certaines conditions primordiales : pont existant à reconstruire ayant une portée supérieure à 24 m, présence de roc à une faible profondeur au droit des futures unités de fondation et dégagement sous le pont suffisant pour satisfaire les exigences hydrauliques sans toutefois compromettre le tracé de la route. Il a fallu au départ cibler quelques sites potentiels sur lesquels ont été réalisées des études hydrauliques et géotechniques préliminaires. À la suite de cet exercice, un site a finalement été déterminé, soit celui du pont Bishop.

Pont existant

Le pont Bishop, situé dans la municipalité de Portneuf, porte son nom en mémoire d’une famille d’industriels ayant contribué au développement de la région. Construit en 1908, le pont est une structure à poutres triangulées en acier d’une portée de 31,7 m enjambant la rivière Portneuf pour relier la rue Saint- Charles au chemin Neuf. La distance centre à centre entre les deux poutres triangulées est de 4,6 m et la hauteur de ces dernières, mesurée par rapport à l’axe neutre des membrures supérieure et inférieure, s’élève à 6,1 m. Il comporte une seule voie de circulation d’une largeur totale de 3,9 m ainsi qu’un dégagement vertical restreint qui limite le passage des véhicules ayant une hauteur maximale de 3,8 m. Bien qu’il ait été construit avant tout pour les usagers de la route, il sert en outre de support à des conduites de services publics municipaux.

Compte tenu de l’état de détérioration avancée de certains éléments en acier, le pont a dû être fermé à toute circulation en 2010 pour des raisons de sécurité. Sa faible capacité portante et son niveau de fatigue élevé reliés à son âge avancé ainsi que les coûts élevés pour le remettre en état ont été les principaux facteurs qui ont conduit le MTQ à décider de préparer un projet de reconstruction complète visant à remplacer le pont existant.

Conception/Construction

Le projet consistait à remplacer le pont existant par une nouvelle structure en bois lamellé-collé comportant deux voies de circulation afin d’améliorer de façon notable les conditions de la circulation. De plus, à la demande de la municipalité de Portneuf, le pont devait servir de support à deux nouvelles conduites, soit une conduite de chaque côté du tablier.

Le tablier possède une voie carrossable de 6,7 m de largeur, soit 3,35 m pour chaque voie de circulation, ainsi que deux chasse-roues de 0,3 m, totalisant une largeur hors-tout de 7,3 m. Les glissières de niveau de performance PL-1 sont dites combinées, c’est-à-dire qu’elles sont conçues à la fois pour les véhicules, les cyclistes et les piétons. Leur principale particularité réside dans le fait qu’elles sont totalement fabriquées en bois massif, à l’exception des lisses qui sont fabriquées en bois lamellé-collé.

La hauteur des arches atteint 3,5 m et la distance entre leurs appuis est de 32 m; le tablier proprement dit du pont a une portée totale de 36,5 m. La charpente en bois lamellé-collé est composée de deux groupes indépendants de poutres, chaque groupe étant formé de 8 poutres droites de 184 mm x 781 mm intercalées entre 9 poutres arquées de 184 mm x 965 mm, toutes reliées entre elles dans la partie centrale par des tiges en acier les traversant de part en part. Cette charpente est surmontée d’un platelage formé d’une série de panneaux en bois lamellé-collé de 184 mm d’épaisseur, fixés aux poutres droites sur toute leur longueur. Les deux unités de fondation sur lesquelles les poutres arquées prennent appui sont des massifs en béton ancrés au roc. Chacun des massifs en béton est surmonté d’une culée en bois de type caisson à claire-voie sur laquelle repose chaque extrémité du tablier proprement dit. Les extrémités du tablier sont considérées comme mobiles, car elles sont libres de se déplacer dans le sens longitudinal du pont par l’intermédiaire d’appareils d’appui en élastomère fretté installés sous les poutres droites.

L’essence du bois utilisé dans la fabrication de tous les éléments du pont est du sapin Douglas. En ce qui concerne les quantités de matériaux, le projet a nécessité l’utilisation de 250 m de bois lamellé-collé et de 10 m de bois massif.

La conception du pont a été réalisée par le Service de la conception des structures de la Direction des structures du MTQ alors que les travaux associés aux approches du pont ont été planifiés par la firme CIMA+. L’appel d’offres pour le projet a été lancé en juillet 2012 et l’ouverture des soumissions a eu lieu un mois plus tard. Le montant total de la soumission retenue s’élevait à 2,8 M$. Les travaux de construction ont été exécutés par l’entrepreneur Stellaire Construction et la fabrication de la charpente en bois lamellé-collé a été effectuée par l’entreprise Goodfellow. Le mandat de surveillance de chantier a été confié à la firme SNC-Lavalin. Les travaux ont commencé en octobre 2012 et se sont poursuivis pendant toute la période hivernale pour se terminer en juin 2013.

Les travaux ont commencé en octobre 2012 et se sont poursuivis pendant toute la période hivernale pour se terminer en juin 2013.

Durabilité

Les principaux défis reliés à la durabilité consistaient à développer des détails de conception appropriés et à déterminer un système de protection de surfaces efficace afin de protéger la structure des rayons UV et des intempéries. Les défis ont pu être relevés grâce à des recherches dans la littérature et des essais effectués en laboratoire.

L’étanchéité du platelage est assurée par une couche d’enrobé posée sur une membrane d’étanchéité autocollante. Cette dernière est installée sur un contreplaqué en bois traité, lui-même vissé directement sur le platelage. Les extrémités de ce dernier sont protégées par un solin en tôle d’acier. Afin d’éviter l’emprisonnement possible d’humidité, des cales d’espacement de 19 mm d’épaisseur ont été insérées entre les surfaces des poutres droites, des poutres arquées et des diaphragmes, empêchant ainsi tout contact direct entre elles. Enfin, les côtés extérieurs des poutres droites de rive sont protégés par des panneaux constitués de feuillards en acier inoxydable fixés sur des éléments en contreplaqué.

Afin de protéger les éléments en bois des rayons UV et des intempéries, un système de revêtement récemment testé en laboratoire a été appliqué à l’usine sur toutes les surfaces.

En plus des inspections standards, l’établissement et la réalisation d’un programme d’entretien incluant un suivi de comportement accompagné d’activités préventives seront cependant essentiels pour que l’ouvrage soit en mesure d’atteindre une durée de vie utile d’au moins 75 ans.

Expérimentation et suivi

Depuis quelques années, le MTQ utilise sur une base expérimentale du bois d’ingénierie pour la réalisation de certains travaux de structure. Le bois d’ingénierie a un potentiel d’utilisation, tel que des ponts à poutres triangulées (pont couvert), des formules hybrides (poutres en acier avec platelage en bois, poutres mixtes bois-béton) ainsi que des concepts de platelage structural.

Toutefois, avant d’utiliser davantage le bois d’ingénierie dans la construction de ponts routiers, des vérifications et des suivis techniques doivent être réalisés afin d’assurer une utilisation sécuritaire et un rendement optimal des investissements réalisés. Actuellement, le MTQ se concentre surtout sur le volet « vérifications et suivis techniques » des ponts en bois réalisés ces dernières années.

Pour le pont Bishop, un suivi technique débutera à l’automne 2014 pour se poursuivre de façon régulière au cours des prochaines années afin d’analyser le comportement de la structure, en ce qui a trait, entre autres, au vieillissement des éléments en bois en regard de différentes conditions climatiques, et principalement des rayons UV. De plus, un « monitoring » visant à enregistrer le taux d’humidité dans les poutres et à valider le comportement structural du pont est également prévu.

Malgré l’accent mis sur les suivis techniques, la réalisation d’études de faisabilité visant d’autres projets du genre et le développement technologique piloté à partir de projets de recherche ne sont toutefois pas à écarter.

Conclusion

Le projet du pont Bishop n’est qu’un exemple bien modeste du potentiel du matériau bois. Par sa réalisation, on peut constater que les exigences structurales d’un tel ouvrage peuvent être respectées tout en présentant une configuration esthétique. Dans cette perspective, comme pour le bâtiment, on peut facilement imaginer un futur possible pour des ponts en bois destinés à franchir différents obstacles sur le territoire québécois. La poursuite de l’amélioration de détails de conception ainsi que l’application de revêtements de surface encore plus performants sont cependant des incontournables pour consolider cette avancée encore bien timide dans le domaine des infrastructures routières.

Sur la toile

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AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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