La planification intégrée des transports urbains d’Abidjan

Lundi 15 mai 2017
Gestion de la circulation
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Dr Siélé Silue
Conseiller spécial du Premier Ministre de la République de Côte d’Ivoire
Primature de la République de Côte d’Ivoire

LA PLANIFICATION INTÉGRÉE DES TRANSPORTS URBAINS D’ABIDJAN

Dr Siélé SILUE, conseiller à la présidence de la République de Côte d’Ivoire

  1. INTRODUCTION

Selon le dernier recensement de la population, la ville d’Abidjan compte environ 5,6 millions d’habitants et est en forte croissance avec des zones d’habitations de plus en plus éloignées du centre-ville où sont concentrés les emplois modernes et les administrations. Cette situation induit des besoins croissants de déplacements domicile-travail que la Société des transports urbains d’Abidjan (SOTRA) n’arrive plus à satisfaire. En effet, jusqu’à la fin des années 1980, la SOTRA était la référence en Afrique subsaharienne par la qualité des services offerts et de son personnel. Elle gérait chaque jour près de 1 200 autobus pour la mobilité des 2,5 millions d’habitants des 10 communes d’Abidjan. Malheureusement, en 2016, le parc de la SOTRA a fortement baissé à 400 autobus en service pour une population de plus de 5 millions d’habitants.

Le déficit de l’offre de la SOTRA a favorisé le développement du transport informel[1] qui est aujourd’hui le mode de transport dominant à Abidjan avec pour corollaire des embouteillages sur les voies publiques à toute heure, la pollution et le renchérissement des coûts de transport. Réorganiser l’ensemble du système de transports urbains d’Abidjan constitue donc l’un des défis majeurs pour les décideurs politiques, les élus, les planificateurs, les urbanistes et les acteurs du transport urbain. Pour y faire face, le gouvernement de Côte d’Ivoire a entrepris une planification intégrée de construction d’importantes infrastructures de transport, dont le pont Henry Konan Bedié (HKB) et de réalisation de projets structurants, dont le métro d’Abidjan. Toute cette planification sera faite dans le cadre d’une politique de transport urbain favorisant le transport collectif de masse.

  1. LE PONT HENRY KONAN BEDIÉ

Le pont HKB est le troisième pont construit sur la lagune Ebrié d’Abidjan. L’idée de sa réalisation date de 1952, mais sa construction été retardée par les crises socioéconomiques successives que la Côte d’Ivoire a connues. En effet, après la conception finale de l’ouvrage en 1996 et la pose de la première pierre le 18 janvier 1999, le chantier a été arrêté à la suite du coup d’État du 24 décembre 1999. C’est durant 2011, avec la stabilisation de la situation politique, que de nouveaux contrats sont signés et que les travaux sont lancés le 7 septembre 2011 en présence du président Alassane Ouattara et de l’ancien président Henri Konan Bédié, dont le pont porte désormais le nom.

Long de 1 500 m et de 28 m de large, dont 3 m de trottoir, le pont est en poutre-caisson de deux fois trois voies avec des fondations qui vont de 30 m à 80 m de profondeur. Le pont est prolongé au sud par une autoroute de 2 km de deux fois trois voies et par un échangeur à trois niveaux surplombant le boulevard Valery Giscard d’Estaing avec des voies latérales pour la desserte des riverains. Au nord, le pont est prolongé de 2,7 km d’autoroute de deux fois deux voies.

L’ensemble du projet (pont, autoroute et échangeur) est l’un des plus importants ouvrages de l’Afrique de l’Ouest. Son coût s’élève à plus de 308 millions d’euros[2], financés grâce à un partenariat public-privé (PPP) entre l’État ivoirien et de nombreux partenaires internationaux, dont la Banque Ouest Africaine de Développement, la Banque Islamique, la Banque Africaine de Développement, etc. C’est un exemple de PPP réussi aussi bien par la diversité des bailleurs de fonds impliqués que par la réalisation technique du projet, car, malgré la complexité de l’ouvrage et l’innovation du montage financier, le pont a été construit en trois ans et inauguré le 16 décembre 2014 comme prévu.

Pour le recouvrement des coûts de construction du pont, le concessionnaire exploite, pendant les 30 ans de la durée de la concession, un péage mis en service depuis le 2 janvier 2015. Le concessionnaire bénéficie d’une garantie de trafic obligeant l’État de Côte d’Ivoire à lui compenser le manque à gagner quand le trafic est inférieur à 75 000 véhicules/jour lors de la première année d’exercice, mais les prix du péage sont négociés avec l’autorité concédante. Les tarifs en vigueur sont de 0,8 euro pour les motocyclettes et les véhicules légers, 2,3 euros pour les véhicules à deux essieux et 4,6 euros[3] pour les véhicules à trois essieux.

Les installations de péage offrent des moyens modernes de paiement aux usagers qui peuvent utiliser un badge avec une puce rechargeable après souscription d’un abonnement minimum de 3,1 euros ou faire le paiement par téléphone mobile. Les enquêtes menées auprès des usagers montrent que la clientèle est très majoritairement satisfaite des services du concessionnaire. Toutefois, les usagers utilisent majoritairement le paiement en espèces malgré le problème de monnaie[4] même si l’utilisation du badge est plus simple, car il suffit de fixer le badge délivré sur le pare-brise intérieur avant du véhicule et la barrière s’ouvre automatiquement à l’approche du véhicule. Avec le paiement par téléphone, l’automobiliste est obligé de s’arrêter à la barrière pour composer un code et suivre des instructions avant que la barrière ne s’ouvre.

 

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Passages réservés pour les différents types de paiement

Sur le plan économique, la construction du pont HKB permet de désengorger le pont Félix-Houphouët-Boigny construit en 1957 et le pont Général-de-Gaulle construit en 1967, de réduire les coûts de transport et le temps de déplacement entre les communes de Cocody et de Marcory. En effet, en périodes de pointe, on estime de 45 minutes à plus d’une heure le gain de temps en empruntant le pont dont la construction a généré près de 1 500 emplois directs, majoritairement occupés par des Ivoiriens. Le trafic journalier enregistré sur le pont varie de 63 000 à 65 000 véhicules. Ce trafic atteint 85 000 véhicules/jour pendant les périodes de fête, ce qui augure une rentabilité financière du pont à la fin de la période de concession. Au-delà des avantages économiques, le pont permet de réduire les émissions de dioxyde de carbone de 90 000 tonnes par an, contribuant ainsi à l’amélioration de l’environnement.

  1. LE MÉTRO D’ABIDJAN

Le projet de métro d’Abidjan comprendra deux lignes. La première, longue de 37 km, constituera l’axe Nord–Sud et desservira les communes d’Anyama, d’Abobo, d’Adjamé, du Plateau, de Treichville et de Port Bouët. Les discussions techniques et financières de cette ligne sont en cours avec un groupement d’entreprises coréennes et françaises. Une convention de crédit a même été signée entre les concessionnaires et une banque commerciale de la place pour le financement des études et des travaux préparatoires pour un montant de 40 millions d’euros, avec garantie de remboursement de l’État au cas où les négociations n’aboutiraient pas. La seconde ligne constituera l’axe Est–Ouest et desservira les communes de Yopougon, d’Adjamé, de Cocody et de Bingerville. Sa préparation n’est qu’au stade des études de trafic et de faisabilité.

Il convient de noter que ce projet fait partie des priorités du gouvernement. Des instructions ont été données pour sa réalisation et assurer la complémentarité entre les deux lignes et avec les autres modes de transport. Le projet sera financé en PPP avec une implication financière minimum de l’État.

  1. LE TRANSPORT LAGUNAIRE

          Le plan d’eau de la lagune Ebrié à Abidjan est une opportunité pour le transport par voie d’eau. C’est un marché à très fort potentiel avec une demande estimée à plus de 700 000 voyageurs/jour. Malheureusement, avec moins de six bateaux en exploitation, la SOTRA n’a pas les moyens de satisfaire cette demande bien que disposant du monopole d’exploitation. L’État de Côte d’Ivoire a donc décidé de lever l’exclusivité accordée à la SOTRA sur le transport lagunaire le 18 septembre 2013 et d’autoriser, à travers une convention de concession de 30 ans, l’exclusivité à deux sociétés ivoiriennes. Ces deux sociétés sont actuellement en phase de mobilisation pour un démarrage effectif de l’exploitation au cours de l’année 2017. Les premiers bateaux ont déjà été livrés et les deux sociétés se sont engagées à offrir des services modernes sur une vingtaine de lignes desservant les 10 communes d’Abidjan avec des bateaux de grande capacité (100 à 200 places) et à construire 20 gares modernes, dont certaines avec tous les services (restaurants, boutiques, banques, etc.).

  1. ADOPTION D’UNE POLITIQUE DE TRANSPORT URBAIN

          Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, des efforts ont été déployés pour réduire le retard des infrastructures de transport à Abidjan. La réalisation des projets de métro d’Abidjan et le développement du transport lagunaire amélioreront sensiblement l’offre de transport. Toutefois, tous ces efforts ne pourront atteindre les objectifs attendus que si une véritable politique des transports urbains est mise en place pour garantir la complémentarité entre les différents modes de transport et la professionnalisation du secteur.

          Cette politique s’articulera autour de quatre axes stratégiques : (i) la mise en place d’un cadre institutionnel et règlementaire consensuel ; (ii) la réorganisation spatiale des différents modes de transport ; (iii) la contribution des bénéficiaires indirects au financement des transports urbains ; et (iv) la réorganisation des acteurs du transport informel. Sur le plan institutionnel, il est proposé la création d’une Autorité organisatrice des transports urbains (AOTU) chargée de la planification, de l’organisation, de la coordination et du financement des activités du transport urbain sur le périmètre du Grand-Abidjan. L’organisation spatiale du système des transports urbains consistera à reconfigurer les différents réseaux d’Abidjan en recherchant la complémentarité multimodale, à créer des lignes BRT comme le recommande le Schéma directeur d’urbanisme du Grand-Abidjan (SDUGA) et à réorganiser le transport intracommunal et périurbain.

          Dans le cadre de cette politique, les communes constitueront des entités spécifiques à l’intérieur desquelles sera organisé un transport intracommunal de proximité avec un système de rabattement vers des hubs multimodaux. Des plans de circulation seront définis dans chaque commune. Pour mieux organiser le transport informel, les entreprises individuelles exploitant des véhicules de 15 à 22 places seront réorganisées en Groupes d’intérêt économique (GIE). Ces GIE se verront attribuer des contrats d’exploitation par lignes ou par zones géographiques. Sur les routes affectées au transport en commun, des arrêts seront construits et réservés à chaque mode de transport. Les montées/descentes sur la voie publique en dehors des arrêts aménagés seront interdites et sanctionnées. Un système intégré de gestion de la circulation des principaux axes de la ville d’Abidjan sera mis en place pour privilégier les transports en commun.

S’agissant du financement du transport public, véritable problème du secteur des transports urbains, il est proposé d’expérimenter à Abidjan le Versement Transport (VT), une taxe payée par les employeurs comme contribution au financement du transport de leur personnel. La mise en place du VT à Abidjan sera une grande innovation en Afrique et permettra de réduire la subvention de l’État et d’augmenter l’offre de transport collectif par des investissements importants dans le matériel roulant.

En conclusion, l’on retiendra que les problèmes de mobilité urbaine sont multiples et variés. Par conséquent, leurs résolutions nécessitent une planification intégrée, incluant les réformes nécessaires au secteur des transports et la prise en compte de tous les modes de transport.

 

 

[1] Le transport informel est constitué de minibus de 22 places appelés « gbaka » et de véhicules particuliers de quatre places appelés « wôrô-wôrô », souvent mal entretenus. Le service est fait par des opérateurs privés, souvent mal formés, majoritairement analphabètes.

[2] La construction du pont seul a coûté plus de 230 millions d’euros (1 euro = 655,957 francs CFA).

[3] Un euro est l’équivalent de 655,957 francs CFA.

[4] L’exploitant du péage a donné des instructions pour ne pas accepter les billets de 10 000 francs CFA et de 5 000 francs CFA lors des passages.

Sur la toile

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