La place des matériaux de chaussée dans le ferroviaire

Vendredi 9 décembre 2022
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Revue Routes et transports automne-hiver 2022-2023 : Décarbonation : transformation des transports, propulsion vertes  | Article de Diego Ramirez Cardona - École de technologie supérieure - ÉTS

L’utilisation d’enrobés bitumineux dans les assises ferroviaires est une technique courante depuis plus de 40 ans dans plusieurs pays. Ils sont utilisés dans tout type de projet ferroviaire : voies ballastées classiques, voies industrielles, voies sans ballast, passages à niveau, zones d’appareils de voie, zones de transition avec ouvrages d’art, détecteurs de défauts de roues, etc.

L'intérêt croissant pour cette technique émane des nombreux avantages apportés par les enrobés, par rapport aux matériaux granulaires non liés. Les enrobés sous ballast (en sous-couche) apportent, notamment, une réduction considérable des besoins d’entretien de la voie, diminuant ainsi le temps de fermeture pour effectuer des travaux. 

Ceci contribue à l’augmentation de la capacité du réseau ferroviaire, et aide à surmonter l’un des principaux inconvénients du transport ferroviaire par rapport au transport routier : l’indisponibilité de la voie. En effet, les routes sont rarement complètement fermées pour travaux. D’autres avantages des sous-couches bitumineuses incluent l’atténuation des vibrations, la réduction des efforts transmis au sol, l’imperméabilisation des sols d’infrastructure, la prévention du colmatage du ballast et le contrôle de la végétation sans l’utilisation de produits phytosanitaires. Par ailleurs, servant de voie d’accès au chantier, la sous-couche bitumineuse facilite la mise en place de la voie et d’autres équipements ferroviaires durant la phase travaux [1]–[6].

Figure 1 : Coupe de principe d’une voie ballastée avec sous-couche en enrobé bitumineux. Source: ÉTS

Figure 2 : Travaux de rénovation d’un aiguillage avec sous-couche en enrobé bitumineux. Source: ÉTS

Les enrobés sur le réseau classique

Depuis les années 1980, aux États-Unis, l’utilisation d’enrobés sous ballast a augmenté substantiellement dans les voies dédiées au fret et dans les lignes de banlieue. L’enrobé est souvent mis en œuvre pour améliorer durablement la portance de la plateforme lors des projets de rétablissement de voie ou d’augmentation de capacité. La technique est aussi couramment utilisée dans des travaux spéciaux tels que les branchements, aiguillages et « voies au milieu de la route », ainsi que sur des linéaires précis où les solutions conventionnelles n’ont pas été efficaces [5], [7].

Étant donné leur mise en œuvre très rapide, les enrobés sont particulièrement adaptés aux fenêtres de temps très restreintes allouées aux travaux de rénovation d’aiguillages. Cette pratique est courante chez plusieurs compagnies américaines, dont NS, CSX, Caltrain et Metrolink. Par exemple, en 2019, une sous-couche bitumineuse a été mise en place sur 60 m de long en seulement 50 minutes pour un aiguillage de la voie NS près de Crandall (IN) [5].

Les enrobés sont aussi couramment utilisés dans les zones de transition avec les radiers en béton des ouvrages d’art. En effet, la présence d’enrobé de part et d’autre de l’ouvrage mène à une amélioration substantielle de la qualité de la géométrie de la voie. Par exemple, en 1998, de l’enrobé a été placé sur 425 m de part et d’autre du pont sur le Tennessee à Bridgeport (AL) de la voie à fret lourd de la compagnie CSX. Malgré un trafic cumulé annuel de 70 millions de tonnes brutes, peu d’entretien a été nécessaire sur cette section de voie depuis les travaux [5].

En tunnel, l’enrobé facilite le drainage de l’eau vers l’extérieur, ce qui est particulièrement avantageux dans des tunnels présentant des sols humides et déformables. Depuis leur réhabilitation dans les années 1990 avec une sous-couche bitumineuse, plusieurs tunnels sur les réseaux NS et CSX ont performé correctement en termes de maintenance [5]. Une sous-couche bitumineuse, associée à un entretien adéquat du système de drainage, peut suffire à réduire drastiquement les problèmes d’instabilité de la voie au droit et aux abords de passages à niveau ou de voies au milieu de la route. Par exemple, en 2011, 1 km de voie au milieu de la ligne de fret du réseau NS à West Brownsville (PA) a été rénové avec une sous-couche en enrobé. 

Auparavant très coûteuse en entretien, cette section n’a plus présenté de signes de détérioration depuis ces travaux. De même, une section de voie de 400 m de long avec 3 passages à niveau consécutifs à Cynthiana (KY), sur le réseau CSX, n’a plus eu besoin de travaux de rectification de géométrie depuis l’installation d’une sous-couche en enrobé en 1985. En effet, l’enrobé réduit les tassements au droit des passages à niveau d’environ 60 %, par rapport aux sous-couches conventionnelles [7].

En général, l’expérience américaine met en évidence le rôle des enrobés dans la réduction des efforts de maintenance des voies par l’augmentation et la préservation de la portance du support de la superstructure (ensemble conformé par le ballast, les traverses et le rail). On peut citer comme exemples le Central Corridor Railroad à Wichita (KS) et la 3e voie de la ligne BNSF Transcon à Kansas City (MO), deux projets où aucune opération de reprise de la géométrie de voie n’a été nécessaire pendant plus de 10 ans d’exploitation sous trafic fret, après la mise en place d’une sous-couche bitumineuse, malgré leur situation sur des terrains argileux peu portants [5].

En matière de durabilité, des essais ont été réalisés en 2008 sur des échantillons extraits de sous-couches bitumineuses âgées de 12 à 29 ans, dans 5 états américains différents. Aucun signe de vieillissement du bitume ou de fatigue des enrobés n’a été repéré. De plus, il a été constaté que la teneur en eau des sols sous l’enrobé était très proche de l’optimum Proctor [5]. Ces mêmes conclusions ont été établies en Italie sur leur 1e ligne à grande vitesse (LGV), qui date des années 1970 [8]. L’utilisation d’enrobés sous ballast en voies classiques n’est pas unique aux États-Unis. L’exemple le plus ancien en Europe date de 1963 en Autriche. En Italie, les sous-couches bitumineuses sont considérées comme le standard pour tout type de voie ferrée. Au Japon, l’enrobé sous ballast est une obligation pour les voies du réseau structurant. En France, les enrobés bitumineux font partie du référentiel technique pour voies classiques depuis 2018 [8], [9].

Les enrobés en ligne à grande vitesse

Le développement du réseau ferroviaire à grande vitesse  (> 300km/h) en Europe a favorisé l’intégration des enrobés dans les infrastructures ferroviaires. Parmi les facteurs qui ont motivé l’adoption de la technique on retrouve leur disponibilité à proximité du chantier sur toute sa longueur, ce qui les rend économiquement compétitifs face aux matériaux conventionnels, et leur mise en service rapide, qui contraste avec les longs délais nécessaires avant utilisation des sols stabilisés aux liants hydrauliques. De plus, les enrobés sont moins sensibles au gel, protègent les sols d’infrastructure en attendant la pose de la voie et permettent une réduction de l’épaisseur de la voie pouvant mener à une importante économie en matériaux granulaires. En outre, pendant l’exploitation de la voie, les sections bitumineuses ont demandé considérablement moins d’entretien que les sections conventionnelles. Ceci a été attribué majoritairement à la réduction des vibrations dans la couche de ballast, qui se traduit par une plus longue durée de vie utile de celui-ci [6], [10]–[12]. Concernant les voies sans ballast, des systèmes mixtes ont été développés où le radier en béton repose sur une assise en enrobés. Ce type de structure est très courant au Japon [8], [9].

Discussion

Les expériences internationales démontrent largement l’adéquation des enrobés au milieu ferroviaire. Concernant leur durabilité, l’apparition de défauts (déformation permanente, fatigue, etc.) est très rare dans les enrobés sous ballast, avec à ce jour des sous-couches bitumineuses âgées de plus de 50 ans en parfait état. En contraste avec les routes, le ballast protège l’enrobé des variations de température et du rayonnement solaire, ce qui limite le vieillissement du bitume. Le risque de désenrobage est aussi limité grâce à l’absence des phénomènes de succion et usure par le contact direct avec des pneus. Enfin, la pression verticale appliquée sur l’enrobé sous ballast est de l’ordre de 8 fois plus faible que la pression typique exercée par les pneus d’un camion sur une chaussée [5].

Quant aux champs d’application, la diversité d’exemples de réussite dans le monde met en lumière la polyvalence des enrobés dans les infrastructures ferroviaires. Outre leur caractère avantageux pour la construction de nouvelles voies, l’intégration des sous-couches bitumineuses dans les travaux de régénération des voies anciennes semble être une solution possible pour l’abaissement des coûts d’exploitation du réseau classique, en réduisant l’entretien et en augmentant la capacité de la voie.

Du fait que les conditions de mise en œuvre des enrobés restent identiques à celles des travaux routiers, il est toutefois nécessaire d’avoir une portance minimale du terrain pour permettre le compactage. Au moment des travaux, il est donc préférable d’avoir un sol dans un état hydrique proche de l’optimum, qui sera pérennisé par l’action imperméabilisante de l’enrobé. Néanmoins, il faut évaluer l’intérêt économique de l’utilisation d’enrobés dans les structures ferroviaires en fonction du contexte particulier de chaque projet et des performances attendues de la voie en service. 

RÉFÉRENCES  

  1. EAPA, « Asphalt in Railway Tracks », European Asphalt Pavement Association, Technical Review, 2021. 
  2. M. Fang, T. Hu, et J. G. Rose, « Geometric composition, structural behavior and material design for asphalt trackbed: A review », Constr. Build. Mater., vol. 262, p. 120755, nov. 2020, doi: 10.1016/j.conbuildmat.2020.120755. 
  3. Y. H. Huang, C. Lin, et J. G. Rose, « Asphalt Pavement Design: Highway versus Railroad », J. Transp. Eng., vol. 110, no 2, p. 276-282, mars 1984, doi: 10.1061/(ASCE)0733-947X(1984)110:2(276). 
  4. IDRRIM, « Réalisation d’assises de voie ferrée en grave bitume : Retour d’expérience de chantiers LGV », Institut de Routes, des Rues et des Infrastructures pour la Mobilité, France, Note d’information n°36, 2019. 
  5. J. G. Rose, « Designs, applications, and performances of asphalt trackbeds in the United States », présenté à Railway Engineering 2019, Édinbourg, Écosse, 2019. 
  6. A. Buonanno et R. Mele, « The use of bituminous mix sub-ballast in the Italian State Railways », présenté au 2e Congrès EURASPHALT & EUROBITUME, Barcelona, Spain, 2000.  
  7. J. G. Rose, « Asphalt underlayment railway trackbeds: Designs, applications, and long-term performance evaluations », University of Kentucky, Final report for NURail Project-Pressure distributions and magnitudes at tie/ballast interface, sept. 2017. 
  8. D. Ramirez Cardona, H. D. Benedetto, C. Sauzéat, N. Calon, et J. G. Rose, « Designs, Application and Performances of Asphalt/Bituminous Trackbeds in European, Asian, and African Countries », Transp. Res. Rec., vol. 2674, no 11, nov. 2020, doi: 10.1177/0361198120945314. 
  9. Y. Momoya, « New Railway Roadbed Design », Railway Technology Avalanche, Newsletter from the Railway Technical Research Institute, no 20, 2007. 
  10. P. F. Teixeira, A. López Pita, et P. A. Ferreira, « New possibilities to reduce track costs on high-speed lines using a bituminous sub-ballast layer », Int. J. Pavement Eng., vol. 11, no 4, p. 301-307, août 2010, doi: 10.1080/10298431003749733. 
  11. J. M. Fernández de Puelles de Torres Solanot, « Experiencia italiana en empleo de subbalasto bituminoso », Tecnol. Desarro., vol. 15, no 0, Art. no 0, déc. 2017. 
  12. J. Blanc et coll., « Monitoring of railway structures with bituminous and granular sub-layers: Assessment after four years of use », Constr. Build. Mater., vol. 336, juin 2022, doi: 10.1016/j.conbuildmat.2022.127515.

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