Parabole théorique : dans l’automobile ou l’autobus, quel passager consomme moins de carburant?
Le secteur des transports est au cœur des réflexions et des actions visant à réduire la dépendance au pétrole et les émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, différentes actions sont envisagées afin de limiter les impacts environnementaux qui découlent des comportements quotidiens de transport. Quiconque doit décider des stratégies à prioriser pour justement réduire la consommation de pétrole et ses multiples incidences doit d’abord se questionner sur l’efficacité énergétique des différents modes de transport. Alors qu’il est relativement facile, pour un individu, de comparer une automobile à une autre en regardant leur consommation d’essence respective, la comparaison est beaucoup moins évidente pour un décideur qui doit comparer entre l’automobile et l’autobus. Dans ce dernier cas, il ne suffit pas de comparer directement la consommation de carburant d’une automobile à celle d’un autobus : la prise en compte des taux d’occupation de chacun s’avère essentielle. Les passagers d’un autobus consomment-ils plus ou moins de carburant qu’un automobiliste? Combien faut-il de passagers dans l’autobus afin que chacun consomme moins que s’il prenait son véhicule personnel? Quel conducteur, de nuit, ne s’est pas demandé s’il brûlait finalement moins de pétrole que les quelques passagers dans l’autobus roulant à ses côtés? Afin d’alimenter cette réflexion, un exercice théorique de comparaison a été réalisé, présentant la relation entre la consommation d’essence des passagers de différents véhicules, selon différents scénarios de taux d’occupation. La consommation de carburant par passager-kilomètre, voyageant dans différents modèles d’automobile, a été comparée à celle d’usagers d’autobus, pour différents types d’autobus.
Méthode et résultats
Pour parcourir un kilomètre, la consommation d’essence d’un passager dans un véhicule peut être estimée en divisant la consommation d’essence du véhicule (l/km) par le nombre de passagers à l’intérieur du véhicule. Ainsi, un conducteur seul dans sa Smart consomme 5,9 l/100 km ou 0,059 l/km. S’il transporte un passager, chacun consomme alors 2,95 l/100 km. Pour les automobiles, les consommations utilisées sont celles des tests en ville, données par l’Office de l’efficacité énergétique (2009).
Les consommations des autobus en ville proviennent de documents publics de la Société de transport de Montréal (STM, 2009; Marchal, 2009). Pour les autobus hybrides biodiesel-électrique et standards, les valeurs de consommation de carburant sont issues d’essais à 18 km/h (excluant le système de chauffage d’appoint, incluant le temps d’arrêt avec moteur en marche).
Si sept usagers du transport en commun parcourent un kilomètre dans un autobus hybride (0,45 litre d’essence par kilomètre), chacun con somme 0,064 l/kilomètre. Dans le cas de huit passagers dans l’autobus, chacun consomme 0,056 l/km, et ainsi de suite jusqu’à pleine capacité. Selon cette logique, il est possible d’affirmer que huit passagers d’un autobus hybride consomment chacun assurément moins de carburant qu’un conducteur seul dans sa Smart consommant 0,059 l/km. On dira dans ce cas qu’il y a équivalence en matière de consommation d’essence par passager-kilomètre.
La formule suivante permet de déterminer le minimum de passagers requis dans un autobus afin que chacun consomme moins d’essence que les passagers d’un véhicule particulier :
Bien que cette formule soit simple, aucune conclusion évidente et globale ne peut être tirée sur le nombre minimum de passagers qu’un autobus doit transporter pour demeurer efficient comparativement au véhicule particulier. La figure suivante présente les taux d’occupation pour une consommation de carburant par passager-kilomètre équivalente pour trois types d’automobiles et d’autobus. Par exemple, en matière de consommation d’essence par passager-kilomètre, un conducteur seul dans une Smart équivaut à huit passagers dans un autobus hybride. Dans le cas des autobus standard et articulé, cette équivalence est atteinte lorsqu'ils contiennent 12 et 17 passagers respectivement.
Évidemment, le parc automobile québécois est loin d’être composé uniquement de Smart. Un véhicule plus représentatif du parc automobile est la Toyota Matrix (8,1 l/100 km). Dans ce cas, il faut qu’un autobus standard transporte neuf usagers pour que leur consommation par passager-kilomètre (0,072 l/km) soit équivalente à celle d’un conducteur d’une Matrix (0,081 l/km).
Cependant, un conducteur est parfois accompagné de passagers. Une Matrix comprend jusqu’à cinq places, alors que la Smart n’en a que deux au maximum. Ainsi, une Matrix à pleine capacité (cinq passagers) a une consommation par passager équivalente à celle d’un autobus standard transportant 41 passagers ou d’un autobus hybride transportation 28 passagers. Dans le cas d’une Smart avec deux passagers, c’est avec 23 passagers qu’un autobus standard atteint un niveau équivalent de consommation d’essence par passager. Le moyen de transport des passagers d’une Matrix à pleine capacité n’est toutefois pas plus écoénergétique que celui des sept passagers d’une minifourgonnette Dodge Grand Caravan (12,2 l/100 km). En effet, leur consommation de carburant par passager équivaut à celle de chacun des 38 passagers d’un autobus standard (26 passagers d’un autobus hybride).
Les extrêmes sont particulièrement impressionnants. Lorsqu'on regarde l’autobus articulé : 24 passagers dans l’autobus sont nécessaires pour égaler la consommation d’essence de seulement deux passagers dans une Matrix. Inversement, lorsqu'on regarde les véhicules utilitaires sport : il faut seulement quatre passagers dans l’autobus hybride pour que chacun de ses passagers consomme moins de carburant qu’un conducteur de Hummer 4X4.
Si l’on revient à une situation plus réaliste pour la grande région de Montréal : en considérant que le parc automobile est constitué de véhicules consommant en moyenne 9,2 litres d’essence/100 km (en 2003 selon ATUQ, 2010) et que le taux d’occupation moyen des automobiles est de 1,25 (en 2003 selon ATUQ, 2010), un minimum de 8,8 passagers est requis dans l’autobus standard. Cette valeur est de 6,1 et de 12,9 pour les autobus hybrides et articulés respectivement. C’est ce type d’analyse comparative qui peut être conduite grâce au graphique à la page 23 qui illustre la relation entre les taux d’occupation et la consommation de carburant des automobiles pour un autobus standard.
Discussions et perspectives
Bien entendu, la valeur moyenne de 8,8 passagers comme seuil du taux d’occupation des autobus standards ne peut être retenue telle quelle. D’abord, selon les sociétés de transport en commun et à l’intérieur même de chacune, la répartition du parc d’autobus varie et n’est pas composée uniquement d’autobus standards. Cependant, cette analyse souligne l’importance de la diversification du parc d’autobus pour répondre à la demande tout en minimisant la consommation énergétique par passager.
Pour le moment, il s’agit d’une parabole théorique qui vise à objectiver les réflexions autour des contributions et des rôles respectifs des différents modes motorisés. Il serait intéressant d’approfondir cette analyse en appuyant les estimations sur des données réelles (opérationnelles). Les consommations de carburant observées risquent de varier fortement d’une société de transport à l’autre, notamment en raison du type de véhicule, des périodes de service et des conditions de circulation sur le réseau routier (arrêts fréquents, voie réservée, autoroute, etc.).
De plus, il serait pertinent d’inclure le kilométrage non productif (à vide) parcouru par les autobus dans ces estimations. En connaissant la consommation moyenne à vide et la part du kilométrage non productif dans la consommation totale de carburant, il serait possible d’ajuster les estimations en conséquence et de produire un portrait plus juste des consommations respectives des différents modes.
Quant à l’importance de l’efficacité énergétique des véhicules, elle n’est certes pas à négliger : l’efficacité de l’automobile comparée à l’autobus est bien différente si le parc automobile est composé majoritairement de petits véhicules hybrides plutôt que de véhicules utilitaires sport. Cependant, les avancées technologiques améliorant l’efficacité énergétique des véhicules prévues au cours des prochaines décennies seront appliquées tant aux véhicules des particuliers qu’aux autobus. Ainsi, si l’efficacité énergétique des véhicules s’améliore dans la même proportion pour les deux modes, cela n’aura pas nécessairement d’effet sur leur performance relative.
De surcroît, cette analyse n’aborde pas la complexité de la variation du taux d’occupation durant un même trajet. Bien que cette réalité soit valable tant pour les automobiles que les autobus, elle est bien plus notable pour le transport en commun. Cela a pour effet de complexifier la transposition de cette analyse théorique à une version plus pratique.
Par ailleurs, cet exercice théorique se concentre uniquement sur la consommation de carburant et n’intègre pas tous les aspects sociaux, économiques et autres impacts environnementaux reliés à l’usage de chacun de ces modes. Par exemple, la présence du transport en commun, bien que moins utilisé en période hors pointe, joue un rôle important pour des personnes non motorisées, notamment les jeunes et les personnes à faible revenu. Cette vision intégrée ne doit surtout pas être négligée.
Sources :
ATUQ. (2010). Étude sur la contribution du transport en commun au développement durable. Réalisé par l’Observatoire de la mobilité durable, Institut d’urbanisme, Faculté d’aménagement de l’Université de Montréal, pour le compte de l’Association du transport urbain du Québec (ATUQ).
Marchal, M. (2009). Premier aperçu des nouveaux autobus articulés à la STM. Journal le Métro. 12 août 2009.
Office de l’efficacité énergétique. (2009). Guide de consommation de carburant 2009. Ressources naturelles Canada, gouvernement du Canada. Disponible à www.rncan.gc.ca.
Société de transport de Montréal. (2009). Les résultats : bulletin d’information sur la mise à l’essai des bus hybrides à la STM. Numéro 2, juin 2009.