Mythe et réalité en éclairage

Samedi 21 juin 2014
Sécurité et Aménagement
Grande région de Montréal avec zone DEL au centre
Isabelle Lessard
Ingénieure, expert en éclairage urbain
Ville de Montréal

Depuis le 18e siècle, l’accroissement des villes s’est effectué de façon vigoureuse et soutenue, attirant une part de plus en plus grande de la population. Selon la banque mondiale de données, plus de la moitié de la population mondiale vit en milieu urbain. Les villes attirent la population par leurs différentes activités. Leur croissance engendre des besoins variés en infrastructure afin d’assurer la sécurité des personnes et des biens. Dans ce contexte, l’éclairage public est alors devenu un service absolument nécessaire.

L’éclairage permet de prolonger durant la nuit les bénéfices des moyens mis en oeuvre afin d’inciter la population à adopter des modes alternatifs de transport. Il est devenu un besoin pour toutes les personnes, qu’elles se déplacent à pied, en vélo ou de façon motorisée. Il permet aussi de diversifier les activités urbaines telles que les sorties nocturnes, le travail de nuit et de prolonger nos activités courantes lors de la saison hivernale où la noirceur arrive dès 16 h.

Le fait de voir notre environnement nous donne un sentiment de sécurité et c’est l’éclairage qui permet ce sentiment de sécurité visuelle à toute heure de la nuit. Cependant, les besoins de sécurité varient selon les usagers. La présence de larges trottoirs, de bandes cyclables ainsi que d’un parcours bien éclairé contribue à améliorer la sécurité des usagers des transports actifs (piétons et cyclistes). Les phares assurent une bonne visibilité de base aux usagers des transports motorisés. Toutefois, les intersections méritent d’être bien éclairées pour assurer la sécurité de tous les usagers (piétons, cyclistes et véhicules venant d’une autre direction).

Bien qu’il y ait un manque d’informations et d’études à travers le monde pour expliquer un lien direct entre l’éclairage de rue et les accidents nocturnes, nombre d’études démontrent qu’il exi

ste une corrélation entre le manque d’éclairage et les accidents impliquant des piétons. Cependant, peut-il en être la cause dans certains cas?

Les façons de concevoir l’éclairage de rue ont évolué exponentiellement ces dernières années et la compréhension du fonctionnement de la vision a apporté des bouleversements dans la conception des systèmes d’éclairage.

Voici quelques faits et croyances sur l’éclairage urbain.

1-Plus on éclaire, mieux c’est!

Il est évident que l’éclairage a un impact positif sur la sécurité des piétons. Cependant, il est important de bien doser l’éclairage urbain… En effet, à l’inverse, trop d’éclairage peut nuire à la visibilité. L’exemple suivant démontre qu’une trop forte luminosité peut compromettre la visibilité d’un obstacle sur la chaussée.

2-Éclairer, peu importe la couleur

Dans l’expression « La nuit, tous les chats sont gris », on pourrait ajouter, « les piétons aussi »… Il est aussi possible de démontrer que la couleur de l’éclairage a un effet sur la visibilité des piétons. Certaines couleurs d’obstacle plus que d’autres sont invisibles aux conducteurs dépendamment de la couleur de la lumière utilisée.

En Amérique du Nord, la majorité de l’éclairage actuel est au sodium haute pression (SHP). Le spectre de couleur de la lampe sodium est très limitatif, laissant passer majoritairement les couleurs chaudes telles que les jaunes et orangés, c’est pourquoi la lumière est jaunâtre. Cela a pour effet que les couleurs jaune, orange et rouge sont moins visibles à l’œil, car elles ne créent aucun contraste avec la lumière ambiante. Cela explique aussi pourquoi les autres couleurs telles que le vert et le bleu ont l’apparence du brun et du noir.

En contrepartie, certaines lampes offrent une lumière plus blanche, par exemple les lampes halogénures métalliques (MH). Ce type de lampe qui laisse passer une gamme plus vaste de longueurs d’onde permet à l’œil humain de percevoir un plus grand éventail de couleurs.

Une étude effectuée au Lighting Research Center de Troy à New York visait à déterminer si la lumière blanche améliorait la vision des automobilistes. Au total, 686 tests distincts ont été réalisés avec un panneau simulant des mouvements aléatoires. Si le mouvement s’éloignait de la route, le sujet devait accélérer et, si le mouvement se faisait en direction de la route, le sujet était censé freiner. Les résultats ont montré que la différence des temps de réaction pour le freinage et l’accélération varie considérablement selon que l’on utilise une lumière blanche ou jaune. Ainsi, le temps de réponse était plus rapide avec la lumière blanche.

Avec l’arrivée des nouvelles technologies, notamment le DEL (Diode électroluminescente) en éclairage routier, la couleur de l’éclairage est devenue une préoccupation à plusieurs niveaux. Plusieurs recherches ont été faites dans les domaines environnementaux et, dans le cas qui nous intéresse, dans le domaine de la vision.

3-Uniformité à tout prix!

En éclairage de rue, l’un des facteurs les plus importants est l’uniformité. Bien que la tendance soit d’obtenir un éclairage le plus uniforme possible, certaines études remettent en question cette croyance dans la conception d’éclairage de rue notamment. Une autre étude réalisée aux États-Unis et présentée lors du dernier congrès d’IES sur l’éclairage urbain à Phoenix a démontré cette notion.

On peut remarquer dans les images précédentes que l’uniformité de la chaussée fait « disparaître » les obstacles mis sur la chaussée.

Cependant, si la question de l’uniformité de la chaussée peut être discutée, sur les trottoirs, c’est une autre histoire. Le piéton doit être en mesure de percevoir quelqu'un venant à sa rencontre. L’élimination de zone d’ombre lui assure donc un sentiment de plus grande sécurité.

4-BUG à zéro!

Comme notre époque se soucie de consommation d’énergie, il convient d’« éclairer juste », ce qui implique de définir les endroits où la lumière est nécessaire et souhaitable. Ce concept permet, entre autres, de réduire les nuisances produites par l’éclairage et de limiter leur impact négatif sur la santé, la faune et la flore, mais aussi de réduire la pollution lumineuse.

Un luminaire qui projette de la lumière dans tous les sens n’est pas nécessairement le plus adéquat et peut poser des problèmes de sécurité… C’est pourquoi les paramètres « BUG » (Back light – Up light – et Glare) sont essentiels lors de la conception d’un projet d’éclairage.

Il est vrai que le paramètre « Glare » ou éblouissement peut être particulièrement dangereux lorsqu'il n’est pas pris en compte. Cela pourrait expliquer nombre d’accidents piétons/véhicules. Voir figure 2.

Deuxième facteur à prendre en considération est le « Up-light ». Personne ne peut remettre en question le bien-fondé d’obtenir un luminaire dont le paramètre du « Up light » ou lumière projetée vers le haut soit le plus bas possible, voire à zéro.

La grande région de Montréal est la région la plus polluante au Québec. Voir figure 3.

Il est possible de réduire ce triste constat en utilisant des modèles de luminaires moins polluants. Les nouveaux luminaires DEL permettent une meilleure gestion de la lumière comme le montre la photo suivante prise sur le boulevard Alexis-Nihon à Montréal.

En dernier lieu, il est de bonne pratique de diriger la lumière uniquement là où elle est nécessaire. Cependant, dans certains cas, pour des besoins de sécurité, il est nécessaire de projeter de la lumière vers l’arrière d’où l’attrait du paramètre « Back light » lors du choix du luminaire. Voir figure 4.

Les piétons ne veulent pas avoir de surprise lorsqu'ils se promènent le soir. Les zones d’ombre notamment près de bosquets, de haies, d’arbres où il est possible de se cacher pour commettre un méfait sont à éviter. Il est donc nécessaire de choisir le bon type de luminaire pour le bon type d’application. Dans le cas présent, un luminaire qui projette de la lumière vers l’arrière est tout à fait indiqué. Le piéton est en mesure de voir son environnement et de se sentir plus en sécurité.

Finalement, l’exercice de la conception d’un bon éclairage urbain est complexe et plusieurs paramètres sont à évaluer. Les différente études remettent en question les différentes pratiques utilisées jusqu'à maintenant. Monde fascinant à découvrir, l’éclairage voit souvent son importance minimisée, malgré le fait qu’il soit un incontournable pour la sécurité des divers usagers de la route.

Les experts en éclairage doivent s’informer des nouvelles découvertes et recherches afin de maximiser tout le potentiel d’un éclairage urbain conforme aux attentes et d’assurer le bien-être et la sécurité de toute personne se déplaçant après le coucher du soleil.

Sur la toile

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Formation

Sécurité et Aménagement Gestion de la circulation