Moderniser le code de la sécurité routière pour mieux tenir compte de l’usage du vélo
L’augmentation impressionnante que connaît l’utilisation du vélo ces dernières années ne fait aucun doute. Si cela est observable globalement au Québec, ce sont les milieux fortement urbanisés qui se démarquent davantage. Selon L’état du vélo, au Québec, le nombre d’adultes qui choisissent ce mode de transport à Montréal a doublé entre 2000 et 2010, passant de 25 % à 53 % de cyclistes. La ville de Québec en compte 40 % et Gatineau, 36 %. Le nombre de cyclistes présents sur les infrastructures cyclables augmente aussi de façon importante. Lorsqu'un nouvel axe apparaît, il est pris d’assaut! La part modale du vélo atteint 2 % à l’échelle de l’île de Montréal et dans les quartiers centraux (600 000 résidents) elle atteint 5 %. Bref, en quelques décennies, le vélo est passé de jouet à véritable moyen de transport, réalité que l’effet BIXI a d’ailleurs permis de renforcer.
Le potentiel est grand
À Montréal, Québec et Gatineau, le tiers des travailleurs résident à moins de 5 km de leur lieu de travail. Dans des villes comme Trois-Rivières et Sherbrooke, 50 % résident à moins de 5 km de leur lieu de travail. Parcourir 5 km à vélo en ville prend 20-25 minutes. Considérant que 54 % de la population québécoise fait du vélo et que 37 % l’utilise à des fins de transport, il n’est évidemment pas farfelu de penser que le vélo est une solution facile et peu coûteuse à la mobilité urbaine.
Jusqu'à maintenant, l’intégration du vélo dans les milieux urbanisés au Québec a surtout été faite par la réalisation d’aménagements (pistes, bandes, modération de circulation). À ce titre, le Québec s’est démarqué de plusieurs autres administrations canadiennes et américaines, notamment avec sa Politique sur le vélo (1995) et les développements qui ont suivi : construction de la Route verte et instauration d’un programme d’aide aux municipalités, octroyé par le ministère des Transports, pour favoriser le développement d’infrastructures et la mobilité active.
Par contre, sur le plan juridique, on ne peut dire que le Québec fait preuve de beaucoup d’audace, surtout quand on constate la forte croissance de la mobilité à vélo observée dans nos villes ces dernières années. Le vélo est toujours considéré de la même façon qu’en 1979, année où ont été introduits dans le Code de la sécurité routière (CSR) un certain nombre d’articles sur le vélo. Quelques amendements ont été faits depuis, mais pour l’essentiel rien n’a réellement permis de prendre en compte tous les nouveaux usages du vélo et l’importante augmentation de son utilisation, particulièrement en milieu urbain.
Oser mettre le vélo de l’avant, pourquoi pas?
Dans plusieurs pays où l’usage du vélo se compare à ce que l’on peut observer au Québec, on a pu constater ces dernières années l’instauration de mesures afin d’augmenter le potentiel du vélo. Au-delà de l’aménagement cyclable typique (piste ou bande cyclables) et justement dans l’idée d’accorder une forme de priorité au vélo, on a introduit le sas vélo, une zone peinte aménagée à l’avant de la ligne d’arrêt des véhicules automobiles aux intersections gérées par des feux. Par contre, dans une municipalité donnée, les sas vélo doivent être nombreux et appuyés d’une bonne campagne de communication pour qu’ils puissent être respectés des automobilistes. Le réglage des feux de circulation est une autre mesure qui permet d’offrir une priorité aux cyclistes et de diminuer ainsi les conflits avec les automobiles.
Mais au-delà des aménagements, on trouve tout un lot de mesures qui peuvent contribuer à mettre le vélo de l’avant et à mieux tenir compte de ses particularités. C’est à ce moment que l’on doit envisager des amendements au cadre réglementaire et législatif et même transformer l’esprit même du Code de la route comme l’ont fait la Belgique et la France. Tout cela dans un esprit de sécurité routière, bien sûr, mais aussi afin de rendre encore plus performants les déplacements à vélo.
L’approche « code de la rue »
À partir du moment où l’on souhaite favoriser et valoriser les déplacements actifs, il faut voir comment rendre ces déplacements encore plus efficaces et encore plus confortables. C’est en constatant que la plupart des accidents impliquant des piétons et des cyclistes avaient lieu dans les agglomérations que la Belgique s’est engagée dans la démarche Code de la rue en 2003.
Cela a amené des modifications importantes du Code de la route, de façon à assurer un meilleur équilibre entre les différentes catégories d’usagers et à offrir une plus grande sécurité routière aux piétons et aux cyclistes. La France s’est aussi engagée en ce sens en 2006 en adoptant en 2008 un premier décret qui introduisait, dans le Code de la route français, le principe de prudence, rendant le « plus fort » responsable vis-à-vis du plus vulnérable. La philosophie que soutient la démarche du Code de la rue est que la voie publique n’est pas vouée exclusivement à la fonction de circulation et que chaque usager de la voie publique y a sa place, et plus spécifiquement, les plus vulnérables1. En fait, la démarche du Code de la rue permet une relecture d’un Code de la route souvent mal adapté à la circulation urbaine.
L’approche du Code de la rue se traduit de deux façons. Tout d’abord, par la modification de certaines dispositions réglementaires au Code de la route en faveur des piétons et des cyclistes. Ensuite, par l’introduction de nouveaux types d’aménagement et par une signalisation appropriée, ce qui peut également nécessiter certaines modifications réglementaires. C’est le cas, par exemple, de la mesure permettant aux cyclistes d’emprunter dans les deux sens une rue à priori à sens unique (double sens vélo), mesure introduite au Québec dans le Code de la sécurité routière en 2010 (projet de loi 71). Nous n’en sommes ici encore qu’aux balbutiements, mais l’idée fait son chemin. À preuve, à la demande du ministère des Transports du Québec, l’École polytechnique étudie actuellement le potentiel d’application au Québec et les stratégies possibles pour mettre en œuvre un meilleur partage de la rue2.
Par où commencer?
En 2013, les cyclistes montréalais ont eu droit à une intensité sans précédent des opérations policières en vue de faire appliquer le Code de la sécurité routière. Même si personne n’est contre la vertu, bon nombre d’intervenants en sont venus à la conclusion que plusieurs articles du Code de la sécurité routière étaient probablement désuets. En novembre dernier, à la suite de l’examen de trois accidents mortels survenus à Montréal, le Bureau du coroner invitait le gouvernement du Québec à moderniser et à adapter le code. Cette modernisation du code permettrait de tenir compte de la particularité du vélo, différente de celle des années 1970 et 1980, et de tenir compte également de la forte progression de la mobilité active dans les villes ces dernières années. Elle gagnerait sûrement à s’inspirer des meilleurs exemples, la Belgique et la France bien sûr, et même de notre voisin, l’Ontario, qui s’apprête justement à réaliser une première phase de modernisation de son Code de la route.
Le cadre offert par la Politique sur le vélo
Tout travail de modernisation du Code de la sécurité routière au Québec devrait s’appuyer sur la Politique sur le vélo3 telle que publiée en septembre 2008 par le ministère des Transports, en collaboration avec la Société de l’assurance automobile et les autres organismes relevant du Ministère : Agence métropolitaine de transport, Société des traversiers du Québec, Commission des transports du Québec. Comme dans l’édition précédente (1995), cette politique guide les interventions du Ministère et des organismes afin de favoriser la mobilité à vélo.
La Politique sur le vélo (2008) vise à rendre les actions à l’égard du vélo encore plus efficaces.
Elle s’appuie sur trois principes :
- la recherche de la sécurité et de la mobilité des cyclistes sur le territoire;
- l’adéquation entre, d’une part, les coûts liés à l’offre en matière de voies cyclables et de voirie conviviale pour les cyclistes et, d’autre part, les bénéfices en matière de déplacements actifs sécuritaires;
- le partage de responsabilités entre tous les intervenants gouvernementaux, municipaux, associatifs ou autres, visant la poursuite des objectifs contenus dans la Politique sur le vélo.
Dans l’esprit de l’énoncé de cette politique, la modernisation du Code de la sécurité routière permettrait d’assurer que les éléments les plus importants soient priorisés, tant au sujet du libellé du code qu’à celui de son application (sanctions), et d’autoriser les pratiques qui ne portent pas atteinte à la sécurité routière. Elle devrait également pouvoir tenir compte des avancées techniques survenues depuis la rédaction de la plupart des articles concernant la bicyclette, rédaction qui remonte à 1979. Et tout cela dans un contexte où on ferait valoir le principe de prudence que suppose le Code de la rue : respect des plus lourds et des plus rapides à l’égard des usagers plus légers et plus lents.
Sans dresser une liste exhaustive et à l’exemple de pays où ces mesures ont été introduites, nous pouvons avancer quelques points qui contribueraient à moderniser le Code de la sécurité routière au Québec :
Sur la route
- Obliger les automobilistes à maintenir une distance d’au moins 1 m lors du dépassement d’un vélo en milieu urbain et d’au moins 1,5 m sur les routes à plus de 50 km/h.
- Permettre aux vélos de circuler à deux de front, sauf à l’approche d’un véhicule venant de l’arrière.
En ville et sur la route
- Permettre aux cyclistes de circuler dans un corridor de 1,5 m de largeur du côté droit de la chaussée et d’en sortir pour éviter un obstacle, dépasser un autre cycliste ou un véhicule lent ou effectuer un virage à gauche. Dans le libellé actuel, une personne à vélo est tenue de rouler « à l’extrême droite de la chaussée ».
- Permettre aux cyclistes de circuler au centre de la voie lorsque la largeur de la chaussée est insuffisante pour permettre un dépassement sécuritaire. Il s’agit souvent de la seule manière de circuler dans certaines rues étroites de nos villes.
Usage du feu piéton
Permettre au conducteur d’une bicyclette, face à un feu rouge, de suivre les indications des feux pour piétons après avoir marqué un arrêt et cédé le passage aux piétons.
Panneau arrêt
Le Code demande au conducteur d’une bicyclette d’immobiliser son vélo complètement à l’arrêt, mais la réalité montre que les cyclistes négocient les arrêts autrement, et cela depuis toujours.
Dans les faits, nous devrions accepter que lorsqu'il arrive à un arrêt, le cycliste effectue un ralentissement marqué et cède le passage aux autres usagers lorsqu'il y en a à l’intersection.
Une personne circulant à vélo a en général une meilleure vue d’ensemble et perçoit mieux les signes de l’environnement sonore que les automobilistes (vitres fermées, climatisation, radio, cellulaire).
Usage des trottoirs
Pour des raisons de sécurité évidente, les trottoirs appartiennent d’abord aux piétons, mais est-il vraiment raisonnable d’en interdire l’usage aux jeunes enfants particulièrement en l’absence de voie cyclable? Les trottoirs ne pourraient-ils non plus être partagés (avec signalisation appropriée) dans les situations extrêmes de traversée de certains ponts, de viaducs ou de passages dénivelés, à condition de le faire à basse vitesse et en accordant la priorité aux piétons? Cette disposition donnerait aux cyclistes l’option de circuler hors de la chaussée sur ces ouvrages où l’on constate un danger accru du fait d’infrastructures de cohabitation vélo-auto mal adaptées.
Montant des constats d’infraction
Passer en revue cet aspect du code est essentielle. Comment peut-on faire valoir une amende de 37 $ pour un vélo dépourvu de réflecteurs dans les roues, alors qu’un automobiliste qui fauche un cycliste en ouvrant sa portière, faute d’avoir regardé, n’est passible que d’une amende de 30 $ seulement?
Les équipements
Article obligeant un phare blanc à l’avant et un feu rouge à l’arrière.
Cet article devrait être placé avant l’article 232 sur les réflecteurs, pour s’assurer que tous comprennent sa primauté. Les phares ne sont pas un complément aux réflecteurs. Ce sont plutôt les réflecteurs qui sont un complément aux phares et un substitut en cas de mauvais fonctionnement.
1-Le code de la rue… la rue pour tous. Institut belge pour la sécurité routière. 22 p. Octobre 2005
2-Pour accéder au questionnaire de l’École polytechnique : https://fr.surveymonkey.com/s/YFQPGJ8
3-Ministère des Transports du Québec. 2008. Du loisir à l’utilitaire : le vélo, un moyen de transport à part entière – Politique sur le vélo, Édition révisée. Mai 2008. 28 p.