Le maintien de la circulation de A à Z

Lundi 21 juin 2010
Infrastructures de transport, Gestion de la circulation
Véhicule de transfert automoteur
Alexandre Beaupré
Chargé de projet
Stantec Experts-conseils ltée
Julie Morin
Directrice ingénierie
Stantec Experts-conseils ltée

Durant les années soixante, le développement du réseau routier québécois allait bon train. Quelques dizaines d’années plus tard, lors d’une période de ralentissement, l’état des routes s’est dégradé. Ce réseau nécessite aujourd’hui beaucoup d’entretien et la province est parsemée de chantiers routiers. Comme le moteur économique d’une société passe principalement par son réseau routier, il importe de minimiser les impacts des chantiers sur la circulation. Toutefois, un « impact zéro » est pratiquement impossible. Il s’agit plutôt de trouver un compromis optimal entre les bénéfices des méthodes de travail et les impacts sur les usagers de la route. Comment construire, reconstruire et entretenir les routes sans avoir trop d’incidences sur les usagers? C’est là où le rôle des personnes qui oeuvrent au maintien de la circulation prend tout son sens.

Le maintien de la circulation : Un survol

Pour les usagers de la route et les professionnels du domaine des transports, maintien de la circulation rime souvent avec signalisation de chantier. En réalité, c’est beaucoup plus que cela. Certaines firmes d’ingénierie se spécialisent même dans ce secteur d’activité. Elles comptent d’importantes équipes d’ingénieries exclusivement attitrées à la réalisation du volet du maintien de la circulation des projets routiers. Il faut savoir que lorsque le projet en est à sa phase de signalisation de chantier, il y a déjà un bon moment que des équipes de professionnels y travaillent. S’il y a plusieurs phases d’avancement pour un projet routier (études d’opportunités, études d’avant-projets, plans et devis, réalisation), il en est de même du maintien de la circulation. De plus, cette discipline comporte un volet coordination qui ajoute à sa complexité et à ses défis.

Au Québec, le maintien de la circulation s’est dessiné et précisé il y a un peu plus d’une décennie. C’est autant pour les besoins d’amélioration de la fluidité de la circulation que pour l’augmentation du niveau de sécurité des usagers de la route et des travailleurs que cette discipline a implicitement fait son apparition. Elle vise entre autres à déterminer un cadre optimal dans lequel l’entrepreneur doit réaliser ses travaux, tout en minimisant l’impact sur les usagers de la route. Il ne s’agit pas là d’imposer des méthodes de travail à l’entrepreneur. Ce dernier est le véritable expert en matière de réalisation et d’innovation dans l’exécution des travaux. Les contraintes qui lui sont imposées sont principalement liées au nombre et aux horaires de fermeture de voies permises, aux largeurs de voies minimales à conserver et au maintien d’un environnement sécuritaire, tant pour les usagers de la route que pour les travailleurs. Lors de la conception, l’ingénieur doit penser à une panoplie d’éléments influant sur les méthodes de travail de l’entrepreneur (débit de circulation à maintenir, espace disponible [dégagement vertical et horizontal], conditions climatiques [visibilité, drainage], gestion du bruit, gestion des poussières, accès au chantier, circulation des services d’urgences, etc.) Il y a ici autant d’éléments que d’inconnus. C’est pour cette raison que le concepteur en maintien de la circulation est appelé à collaborer avec plusieurs intervenants spécialisés dans différentes disciplines (circulation, géométrie, ouvrages d’art, etc.).

À l’étape de l’avant-projet, le maintien de la circulation définit différents scénarios de réalisation de travaux. L’ingénieur analyse les diverses possibilités et élimine rapidement celles qui ne correspondent pas aux critères des gestionnaires de la route. Pour arriver à un scénario optimal, il faut parfois user d’imagination et d’audace. D’ailleurs, avec l’augmentation des chantiers sur le réseau routier, les nouveaux produits et les nouvelles méthodes de travail se multiplient. Il n’y a qu’à penser aux remplacements rapides des ponts de promenade ontariens d’Island Park (2007) et de l’avenue Clyde (2008), réalisés en une seule nuit, pour comprendre que tout est possible. Il faut toutefois avoir la volonté de mettre de l’avant ces méthodes et utiliser ces produits innovateurs.

Le scénario de maintien de la circulation préférentiel est défini lors de l’avant-projet définitif. C’est durant l’élaboration des plans et devis qu’il se concrétise. Ensuite, on ne connaîtra les impacts réels seulement lors de l’exécution des travaux. Il arrive souvent que des ajustements soient nécessaires sur le chantier. Ce phénomène est tout à fait normal puisque les scénarios se précisent à chaque étape du projet. Le défi du concepteur en maintien de la circulation est de déterminer les hypothèses les plus justes.

En plus d’établir les contraintes au niveau de la circulation et de préparer les documents relatifs aux travaux de maintien, l’ingénieur en maintien de la circulation doit souvent réaliser l’ordonnancement des travaux. En effet, les contraintes des scénarios demandent au concepteur de coordonner les autres disciplines et de déterminer les phases de réalisation des travaux. Cet aspect de la discipline demande une grande connaissance multidisciplinaire. Il faut connaître les méthodes, l’espace et la durée requis pour chaque type de travaux à réaliser.

La gestion par axe

Le maintien de la circulation présente des défis de coordination tant durant la conception du projet que lors de l’exécution des travaux. En effet, une synchronisation doit être réalisée entre les chantiers limitrophes d’un secteur afin de limiter les impacts d’un chantier sur les autres. En amont, c’est aux gestionnaires du réseau routier de programmer les projets routiers de façon à éviter qu’il n’y ait trop d’interaction entre les différents chantiers sur le réseau. Il faut donc délimiter les zones d’influence des principaux axes routiers et définir des secteurs d’analyse précis. C’est ce que l’on appelle la gestion par axe.

La gestion par axe agit à quatre niveaux dans un secteur d’analyse, soit lors de la programmation des différents projets, des avantprojets, des plans et devis et lors de la réalisation des projets. Il est possible de faire un parallèle entre les quatre niveaux de la gestion par axe et les quatre phases de la gestion traditionnelle : planification, organisation, direction et contrôle. En effet, le premier niveau de la gestion par axe consiste à planifier les différents projets. Le deuxième niveau, soit lors des avant-projets, oriente et organise les différents scénarios de maintien de la circulation selon leur interaction sur le réseau routier. Le troisième niveau définit les contraintes des scénarios de maintien. On peut dire que c’est lors des plans et devis que la direction finale du projet se définit. Enfin, lors du quatrième niveau, il ne reste qu’à contrôler les différents chantiers sur le réseau routier pour l’ensemble du secteur d’analyse. Évidemment, plus les intervenants sont proactifs lors de chacun des trois premiers niveaux, meilleur est le contrôle des projets durant la phase de réalisation. Ce champ d’expertise relativement nouveau reste à développer.

Les mesures d'atténuation

Les phases et les stratégies de réalisation des travaux sont développées à partir de critères de gestion bien précis et déterminés selon le secteur et les objectifs d’un projet. Certains objectifs reliés à la fonction de transport sont donc considérés dès la planification du scénario de maintien de la circulation. Favoriser le transport collectif, diminuer le trafic de transit et réduire l’utilisation de l’automobile dans le secteur des travaux sont des exemples d’objectifs reliés à la fonction de transport qui guident les critères à respecter pour l’élaboration d’un scénario de maintien. Ce sont des mesures d’atténuation qui ont pour objectif de minimiser les inconvénients causés aux usagers de la route, aux cyclistes, aux piétons, aux travailleurs ainsi qu’aux citoyens et à toutes activités entourant le secteur des travaux. Il existe des dizaines de mesures d’atténuation. Toutefois, il existe toujours un impact sur la circulation. L’important est de déterminer quelles mesures d’atténuation permettront d’optimiser les déplacements des usagers de la route. Voyons les différents types de mesures d’atténuation adoptés dans différentes situations.

Le plan de communication préparé par le gestionnaire du réseau routier constitue une des plus importantes mesures d’atténuation. Différents médias tels que la radio, les journaux, la télévision et internet sont utilisés pour diffuser l’information. D’ailleurs, ce dernier outil est relativement nouveau et n’est pas encore exploité à pleine capacité. En effet, à l’aire des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.), les gestionnaires du réseau routier québécois auraient tout intérêt à exploiter ces médias sociaux pour transmettre l’information aux usagers et ce, de façon beaucoup plus personnalisée. En communiquant efficacement aux usagers de la route la localisation et l’ampleur des entraves présentes sur le réseau, certains d’entre eux évitent le secteur des travaux ou empruntent le transport collectif.

Par ailleurs, il est important de promouvoir l’utilisation du transport en commun lorsqu’il y a une possibilité d’effectuer un transfert modal de transport. Le cas échéant, il faut augmenter le niveau de service et implanter un stationnement incitatif lorsque c’est possible. Des mesures semblables ont été mises en place au printemps 2008 pour les travaux de réfection du pont Galipeault sur l’autoroute 20. L’agrandissement et l’amélioration des accès de deux stationnements incitatifs pour les gares du train de banlieue dans le secteur des travaux, en plus de la mise en place d’un autobus express aux heures de pointe, ont permis la réduction de près de 500 véhicules de transit chaque jour durant le déroulement des travaux.

La coordination est également une mesure d’atténuation importante. En effet, une bonne liaison entre les différents partenaires d’un projet (services d’urgences, services de remorquage, gestionnaires de transport, commerçants, résidents, etc.) assure une meilleure coordination des activités du secteur, ce qui est gage de succès. Cette coordination fait partie intégrante de la gestion par axe en phase de contrôle.

D’autres mesures d’atténuation consistent à informer les usagers à même le réseau routier. On pense ici à l’utilisation de systèmes de transport intelligents (STI), tels que l’utilisation de panneaux à messages variables, d’affichage des temps de parcours, d’affichage d’itinéraires facultatifs, de la modification de la signalisation d’indication et de l’affichage des déviations.

Puis, il faut prévoir des mesures afin de gérer les piétons, les personnes à mobilité réduite, les cyclistes et tous autres usagers des transports actifs et collectifs. On pense ici à l’implantation de passerelles, de corridors protégés, de déviations, au déplacement des arrêts, à l’aménagement de pistes ou de bandes cyclables temporaires, etc.

Il existe également des mesures d’atténuation relatives aux contraintes d’espace pour les voies de circulation comme l’utilisation de glissières à déplacement rapide. Ces dernières permettent de favoriser une direction de circulation aux heures de pointe en effectuant une configuration de voies interchangeables (par exemple, trois voies dans une direction et deux dans l’autre). D’autres mesures consistent à la construction de chemins de déviation et même de ponts temporaires.

Dans la plupart des projets d’envergure, des mesures d’atténuation passent par les contraintes données à l’entrepreneur. Par exemple, certains contrats l’obligent à réaliser certains travaux simultanément afin de réduire la durée et le nombre de fermetures. Il est également possible d’établir des périodes de réalisation particulières où l’achalandage est moindre pour certains lots de travail (les vacances de la construction par exemple) et de restreindre le nombre et les horaires de fermetures. Il existe même des mesures qui contraignent plusieurs entrepreneurs à se mobiliser à une date précise durant la même fermeture optimisant ainsi l’utilité de celle- ci. Cette dernière mesure d’atténuation demande beaucoup de coordination en amont lors de la conception car il faut préparer les contrats en fonction d’une telle restriction. Il s’agit là d’un autre exemple d’application de la gestion par axe.

Enfin, plusieurs mesures d’atténuation se situent au niveau de la sécurité des travailleurs et des usagers de la route. On pense à l’utilisation de la signalisation de travaux, de glissières de sécurité, d’atténuateurs d’impact, à la reprogrammation et à la modification de feux de circulation, à l’installation de feux de circulation pour chantier, etc.

La formation

Pour conclure, il importe de préciser que le maintien de la circulation est une discipline relativement nouvelle et encore méconnue des professionnels du domaine et particulièrement des étudiants. À cet effet, il n’existe présentement aucun cours spécifique de cette discipline offert dans les cégeps et universités du Québec. Il n’existe qu’un seul cours de formation offert par TransForm, le centre de formation de l’Association québécoise du transport et des routes (AQTR). Il s’agit du cours Gestion des impacts des travaux routiers sur la circulation (STC-201) d’une durée d’une journée. Cette formation est exigée par le ministère des Transports du Québec pour les responsables en signalisation et les gestionnaires de chantiers routiers. Cependant, cette dernière formation ne révèle pas tout. Les concepteurs en maintien de circulation sont donc contraints d’apprendre par eux-mêmes les rouages de la discipline.

Il faut mentionner que comme ce champ d’expertise est méconnu des jeunes ingénieurs, les firmes d’ingénierie doivent user d’originalité et d’innovation afin de séduire la relève. Bien expliquer en quoi consiste cette discipline et la faire connaître sont des préalables pour l’attirer. C’est dans cette optique que certaines entreprises se spécialisant dans le domaine développent des plans de formation interne exhaustifs jumelés à des programmes de parrainage. Le transfert des connaissances et l’encadrement sont des enjeux importants pour l’épanouissement des jeunes professionnels ainsi que pour leur rétention dans l’entreprise.

De ce fait, les établissements d’enseignement gagneraient à offrir des cours de formation sur le maintien de circulation, une discipline en pleine ébullition et à l’avenir prometteur. Toutefois, ils ne sont pas les seuls à pouvoir améliorer la situation. Effectivement, à ce jour, il n’existe pas de guide de conception complètement consacré à la discipline du maintien de la circulation. Il serait donc avantageux d’en développer un à l’avenir.

La prochaine fois que vous circulerez dans un chantier routier, vous saurez désormais que le maintien de la circulation ne se limite pas qu’à la signalisation de chantier et que des professionnels ont travaillé d’arrache-pied pour vous en limiter les désagréments.

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
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AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
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AQTr