Lumières sur les ponts

Dimanche 21 septembre 2014
Infrastructures de transport, Infrastructures de transport
Pont de nuit
Isabelle Lessard
Ingénieure, expert en éclairage urbain
Ville de Montréal
Maxime Chouinard
Consultant en urbanisme
Ville de Montréal

Depuis son invention, la lumière a été utilisée dans la rue, notamment, pour rassurer les citoyens, guider les piétons et assurer une bonne visibilité aux automobilistes. Depuis une vingtaine d’années, elle sert aussi d’outil de mise en scène du paysage nocturne, séduisant les spectateurs que sont les résidents, les travailleurs et les touristes et enrichissant leur expérience en ville.

Dans le monde des arts, l’éclairage est un incontournable de la mise en scène. La lumière sait mettre en valeur, souligner des détails intéressants et illuminer l’environnement naturel. La lumière peut même être un spectacle en soit lorsqu’il s’agit de feux d’artifices ou de faisceaux lumineux programmés. Les nombreuses œuvres d’animation et cinématographiques temporaires des dernières années ont permis de développer une expertise québécoise en éclairage de mise en scène. Des exemples tels que le Moulin à images dans le port de Québec ou, plus récemment, la cérémonie d’ouverture des parties de hockey du Canadien de Montréal, ont connu un réel succès.

Les mises en valeur permanentes par l’éclairage de bâtiments, de places publiques ou de structure, quant à elles, restent gravées dans les souvenirs des touristes et contribuent à la renommée mondiale que la tour Eiffel, ou plus près de chez nous, les quartiers historiques du Vieux-Montréal et du Vieux-Québec ont obtenue avec les années. Outre une meilleure lecture, ou une relecture, du patrimoine la nuit, l’éclairage architectural permet d’orienter les usagers, d’améliorer le confort des déplacements et de bonifier l’ambiance des lieux. De plus, l’éclairage architectural joue un rôle important dans la mise en valeur des secteurs visés et favorise le dynamisme des activités nocturnes. Ainsi, un projet d’éclairage est un bon outil pour faire découvrir des oeuvres et même des quartiers le soir et pour mettre en relief les caractéristiques paysagères, tant naturelles qu’artificielles de la ville.

Cependant, il est capital de réaliser une bonne mise en lumière sans pour autant générer de la pollution lumineuse. Cette dernière peut être définie par des « éclairages mal conçus, mal orientés ou utilisés abusivement »1. Elle est responsable du voilement des étoiles, crée de l’éblouissement et génère de la lumière intrusive ainsi que d’importantes pertes d’énergie. Plusieurs connaissent le projet de lutte contre la pollution lumineuse de l’AstroLab du Mont-Mégantic. Les membres de celui-ci ont été les pionniers dans cette lutte et ont réalisé la première réserve mondiale de ciel étoilé. De plus, certaines études tentent de démontrer les effets négatifs d’une présence de lumière nocturne anormale ou gênante ainsi que les conséquences de l’éclairage artificiel nocturne sur les écosystèmes.

Parlons pont maintenant!
Comme pour les bâtiments, la tendance des dernières années est d’éclairer la structure des ponts et de la mettre ainsi en valeur. Les ponts, par leur architecture et leur rôle de lien, sont d’excellentes structures à éclairer qui illustrent le savoir-faire ingénieux des concepteurs et parfois, comme dans le cas de Montréal et de Québec, embellissent les entrées de ville. Leur taille souvent impressionnante, en longueur et en hauteur, ainsi que leurs caractéristiques de conception, comme les voûtes, les arcs, haubans, les câbles et les piliers, en font des points de repère remarquables dans le paysage. Cependant, comment faire pour obtenir une mise en lumière adéquate tout en respectant notre environnement? Là est le défi!

En effet, un pont, qui produit par un éclairage mal dirigé une pollution lumineuse, a un sérieux impact sur la faune et la flore qui l’entourent. Des études démontrent qu’attirés par la lumière, de nombreux insectes sont menacés, grillés ou capturés par leurs prédateurs. Les oiseaux migrateurs, quant à eux, sont désorientés par la pollution lumineuse et viennent souvent heurter les bâtiments ou les ponts illuminés.

De plus, outre les perturbations terrestres, la lumière provenant des ponts peut affecter les milieux aquatiques. Une étude a déjà démontré que l’intensité lumineuse affecte les poissons et les invertébrés aquatiques sur une profondeur de trois mètres (Moore et Kohler, 2002). Sur les photos suivantes, nous pouvons constater la mauvaise orientation des projecteurs, tant vers le ciel que vers l’eau, la puissance démesurée des projecteurs et l’éclairage général des structures plutôt qu’une illumination des éléments importants, qui contribuent à une mauvaise gestion de la lumière et donc à de la pollution lumineuse.

Sur les photos suivantes, on peut voir de bonnes initiatives en matière d’éclairage de pont. Les projecteurs sont généralement orientés vers le bas plutôt que vers le ciel. Lorsqu’ils sont dirigés vers le haut, soit la lumière bute sur un obstacle, soit elle est particulièrement faible, ce qui limite la dissipation de lumière vers le ciel. Le dessous du pont n’est pas éclairé de façon à ce qu’il y ait le moins de réflexion possible de lumière sur l’eau. Enfin, la quantité et la puissance des projecteurs ont aussi été limitées, afin de cibler les composantes clés de la structure qui se traduit par une composition de l’éclairage créant un fort impact visuel, jouant sur les effets de profondeur et soulignant les détails intéressants.

Dans le cas des structures patrimoniales, l’installation des équipements doit faire l’objet d’une attention particulière afin de ne pas abîmer ces monuments. Les équipements doivent pouvoir être facilement enlevés, soit sans que leur ancrage n’affecte le pont. Il est nécessaire, dans de telles situations, de faire appel à une firme d’ingénierie ou de design industriel afin de trouver la meilleure façon d’ancrer les projecteurs.

Malheureusement, malgré les nombreuses mises en lumière de pont à travers le monde, peu passent le test du temps. Très souvent, après la réalisation de tel projet, l’éclairage est laissé à lui-même et n’est pas entretenu. En effet, la désuétude et le bris des appareils augmentent avec le temps mais, faute de budget d’entretien, aucun élément n’est remplacé. Ainsi, le projet est laissé à l’abandon.

Au Québec, on peut citer l’exemple du pont de Québec où le nouvel éclairage, inauguré en 2001 au coût de 2,2 M$, s’est dégradé principalement faute d’entretien : dégradation des attaches des projecteurs provoquant un danger de chute, entretien presque inexistant empêchant le remplacement des projecteurs défectueux au fil du temps, mais aussi concept initial de changement de couleurs en fonction des marées incompris de la population et laissé à l’abandon.

Outre l’entretien, un autre élément essentiel à la réalisation de tel projet est le suivi adéquat de la réalisation. En effet, il faut que toutes les parties prenantes et le financement soient au rendez-vous.

Un autre exemple où le projet d’éclairage a échoué est le pont Jacques-Cartier. Pour fêter le 75e anniversaire de construction de ce pont emblématique de la Ville de Montréal, la société des Ponts Jacques-Cartier et Champlain incorporée voulait offrir à la Ville une mise en lumière du pont. Cependant, le projet lancé en 2006 a dû être dilué à cause des coûts de réalisation trop élevés comparativement à l’estimation initiale. Une fragmentation du projet a eu lieu pour diminuer les coûts, causant une incompréhension du concept global. Finalement, les ficelles financières n’ayant pas toutes été attachées, le projet a été mis sur la glace après la mise en place de quelques projecteurs sur les piliers. Les phases suivantes n’ont jamais été réalisées.

Ces exemples nous démontrent que tous les bons principes de réalisation d’un bon projet d’illumination d’un pont, comme pour les bâtiments, peuvent n’être qu’un gaspillage de temps et d’argent si les systèmes d’éclairage ne sont pas entretenus. Ainsi, l’une des conditions essentielles au succès d’un tel projet est la planification de l’entretien en amont du projet. De plus, le concept d’éclairage doit être simple, efficace et bien compris afin que la population adhère au projet et que les autorités acceptent de le porter sur plusieurs années (comme l’exemple du Plan lumière du Vieux-Montréal).

En conclusion, les ponts demeurent des œuvres d’ingénierie des transports remarquables faisant partie du patrimoine d’hier et de demain de la ville. Malgré les difficultés techniques, financières et de logistique des projets d’illumination des ponts, il serait néanmoins intéressant d’illuminer certaines structures importantes au Québec, sachant les nombreux avantages et le rayonnement national et international qu’un éclairage architectural de cette envergure, visible parfois à des kilomètres, parvient à obtenir. 

1- Chloé LEGRIS, « Guide technique et réglementaire sur l’éclairage extérieur », Projet de lutte contre la pollution lumineuse, ASTROLab du Mont-Mégantic, 2006, p. 6.

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
17 juin 2024

AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
4 juillet 2023

MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
4 juillet 2023

AQTr