La lumière durant les travaux d’infrastructure : effets environnementaux inattendus, inconnus ou ignorés

Jeudi 21 mars 2013
Infrastructures de transport, Mobilité durable, Sécurité et Aménagement
Lumières et infrastructures

Les chantiers des infrastructures routières sont actifs plutôt le jour. La vraie vie, celle qui se déroule par exemple dans le triangle Salaberry-de-Valleyfield – Boucherville – Sainte-Agathe-des-Monts, nous a démontré le contraire. Si vous avez vécu les réparations de certains ponts ou la construction de la nouvelle autoroute 30, vous conviendrez que, parfois, les gros projecteurs utilisés pour les travaux d’infrastructure dérangent les automobilistes. N’avez-vous jamais pensé que toute cette lumière (même temporaire) peut aussi avoir des effets néfastes sur l’environnement?

Pour pouvoir bien comprendre la problématique, faisons un survol de certaines informations et connaissances acquises sur la lumière à l’école ou ailleurs.

« Saviez-vous que… »

Lumière

  • Nous sommes entourés en tout temps par des radiations électromagnétiques naturelles. La totalité de ces radiations forme le spectre des radiations électromagnétiques.
  • Seule une très petite partie de ce spectre a la capacité d’exciter les cellules visuelles à l’intérieur de l’œil (figure 1). C’est ce qu’on appelle la zone visible du spectre électromagnétique.
  • C’est notre cerveau qui transforme les signaux électromagnétiques en couleurs. Et c’est comme ça que le mélange de rouge, d’orange, de jaune, de vert, de bleu, d’indigo et de violet est traduit en blanc.

Histoire

  • L’énergie envoyée par le Soleil sur la Terre entraîne de nombreuses réactions chimiques dont certaines d’entre elles ont mené à l’apparition de la vie.
  • Le premier luminaire a été une branche allumée à partir d’un feu de forêt.
  • Dès le Néolithique, l’huile végétale, plus fluide, a été préférée à la graisse animale ou à la résine pour être brûlée dans des récipients. Les bougies et le gaz ont suivi.
  • Nous utilisons et transformons sans cesse la source du progrès industriel, la garantie de notre style de vie « 24/7 » – l’éclairage artificiel électrique – seulement depuis environ 1872.

Photobiologie

  • La photobiologie est l’étude scientifique des interactions de la lumière avec les organismes vivants.
  • Les plantes sont les seuls organismes qui produisent directement leur nourriture à l’aide de l’énergie solaire – tous les autres prennent leur énergie ailleurs.
  • Les plantes sont les seuls organismes (avec les algues et certaines bactéries monocellulaires) qui produisent de l’oxygène, les autres dégagent du dioxyde de carbone.
  • La photosynthèse est le processus bioénergétique qui permet aux plantes de synthétiser de la matière organique en exploitant la lumière solaire.
  • Les longueurs d’onde les plus efficaces pour le processus de photosynthèse sont celles qui correspondent à la couleur rouge et au bleu (figure 2). Elles propagent l’énergie nécessaire pour déplacer les électrons de la chlorophylle à un niveau énergétique supérieur.
  • À part la photosynthèse, les plantes ont deux autres « réponses » à la lumière : le phototropisme – le mouvement pour suivre la lumière – et le photopériodisme – la réaction à la noirceur qui est responsable de plusieurs processus comme la germination des semences, la croissance des tiges, la floraison, etc.
  • Tenant la réflexion de la lumière de la Lune à un angle constant, les insectes peuvent maintenir une trajectoire de vol stable.
  • Toutes les espèces de chauve-souris et de blaireaux, la majorité des petits carnivores, la grande majorité de rongeurs (à l’exception des écureuils), 20 % des primates et 40 % des marsupiaux sont nocturnes, et plusieurs autres sont actifs jour et nuit.
  • Le rythme circadien (l’horloge interne) est un rythme biologique d’environ 24 heures, qui régit nos vies quotidiennes, notamment par le rythme veille-sommeil.
  • Le rythme circadien est présent chez la plupart sinon la totalité des animaux, invertébrés compris. Le rythme circadien le plus visible chez les plantes concerne la position des feuilles et des pétales, qui se redressent ou s’ouvrent plus ou moins selon l’heure de la journée.
  • Des rythmes circadiens peuvent aussi s’observer chez des organismes unicellulaires, comme des moisissures et des cyanobactéries.

Effets nuisibles de la lumière

Plusieurs d’entre nous ont été incommodés, par exemple, par la lumière éblouissante des installations portables (tours d’éclairage – figure 3) de chantier. Malgré la bonne volonté de ceux qui les ont installés, nous avons été aveuglés en plein trafic. Parfois, cette lumière est tellement forte que toutes les signalisations lumineuses après le chantier routier deviennent pâles ou disparaissent dans l’aura brillante. Comme les sources de lumière utilisées sont généralement aux iodures métalliques, le temps de réadaptation de l’œil après la disparition de la source du champ visuel est plus long que dans le cas d’autres sources.

La lumière s’en va dans toutes les directions si elle ne rencontre aucun objet. Elle peut pénétrer dans les maisons et se refléter, par exemple, sur les écrans de télévision ou peut aller vers le ciel et provoquer ce qu’on appelle le voilement du ciel – cette coupole orange que nous voyons au-dessus des grandes villes qui éclairent leurs rues avec des sources au sodium. Ces conséquences ne sont pas vraiment des effets environnementaux mais plutôt des nuisances.

Plusieurs chantiers d’infrastructures se déroulent près des zones non peuplées. Je me souviens une nuit quand j’ai dû descendre en urgence l’autoroute des Laurentides alors en pleine réfection. Un sens de circulation était fermé (celui vers le sud). Et pourtant, aucun travailleur, aucun mouvement. Un bulldozer avait été laissé au milieu du chantier et deux gros projecteurs portables (comme ceux montrés dans la figure 3) l’éclairaient. Pour moins nuire au trafic, les projecteurs étaient placés vers le milieu de l’autoroute et visaient le bulldozer et la forêt qui longe l’autoroute à cette hauteur. Je n’ai jamais compris l’utilité de cette lumière. Je l’ai oubliés tout de suite, mais au moins aujourd'hui elle m’est utile : nous pouvons appliquer l’introduction sur la biologie que vous avez lue ci-dessus pour imaginer les effets sur les écosystèmes.

Commençons avec les insectes qui se dirigent vers la lumière. Comme il ne s’agit pas de la Lune, ils finiront brûlés ou morts de fatigue. L’effet que la lumière a sur les divers organismes dépend de la longueur d’onde. L’ultraviolet attire les insectes, mais n’est pas perçu par l’être humain. Plus dommageable pour les mammifères (dont l’homme) est la lumière émise par la partie bleue du spectre à cause de la sensibilité à cette longueur d’onde de certains photorécepteurs présents dans l’œil.

Cette longueur d’onde semble très efficace dans l’arrêt de la production de la mélatonine. Si cette hormone n’est pas produite c’est la sérotonine qui prend sa place, générant une sensation d’énergie, de vigilance. Plusieurs médecins soutiennent d’ailleurs que l’arrêt de production de la mélatonine est relié à certains processus cancérigènes. Ce serait le cas de certains cancers de sein. Un nombre égal de spécialistes disent cependant que les preuves sont insuffisantes et qu’une approche scientifique devrait avoir comme résultat une quantité de lumière bleue dans le spectre visible et une durée minime nécessaires pour déclencher les réactions dangereuses pour l’être humain.

Si vous regardez de nouveau la figure 2, la photosynthèse est stimulée aussi par deux longueurs d’onde : bleue et rouge. La lumière artificielle nocturne peut donc mener à l’accumulation de trop d’énergie, beaucoup plus que la plante ne peut transformer, et en même temps, elle arrête d’autres processus utiles pour la plante.

La lumière bleue exerce une influence certaine sur le cycle circadien. L’horloge interne contrôle une multitude de fonctions endocrines chez tous les mammifères (migration, alimentation, reproduction) mais aussi chez les amphibiens et même chez le plancton. En effet, la lumière bleue du matin est celle qui donne le signal que la journée est commencée. Une autre lumière bleue durant la nuit va dérégler le cycle normal et entraîner des effets sur la santé et le bien-être général.

Regardons maintenant vers le ciel pour découvrir un effet inattendu de la lumière nocturne : l’impact sur la pollution de l’air. Chaque nuit, les radicaux de nitrate empêchent d’autres substances chimiques polluantes de se transformer en smog ou en d’autres irritants. Ces radicaux sont détruits par le Soleil donc ils agissent durant la nuit. Des études ont démontré que le voilement lumineux nocturne va empêcher jusqu'à 7 % de ces réactions et va se traduire, durant la journée suivante, par une qualité de l’air diminuée d’environ 5 %.

En résumé

La lumière nocturne est devenue plus qu’un support pour une activité (tant pour les travaux d’infrastructure que pour d’autres activités), c’est une garantie de notre style de vie 24 h sur 24/7 jours sur 7.

L’éclairage nocturne non contrôlé utilisé pour les travaux d’infrastructure peut produire :

  • Des effets nuisibles sur les automobilistes,
    • Éblouissement;
    • Interférence avec la signalisation lumineuse – confusion ou mauvais guidage visuel;
    • Changement de l’environnement nocturne intérieur :
      • intrusion de la lumière dans les chambres à coucher;
      • réflexions dans des écrans (télévisions ou ordinateurs);
  • Des effets environnementaux,
    • Voilement du ciel;
    • Inhibition des certaines réactions chimiques dans l’air de la nuit;
    • Sur les écosystèmes :
      • processus aléatoires chez les plantes;
      • disparition des populations d’insectes (dans le monde, la lumière nocturne est la deuxième cause de disparition des insectes après les pesticides);
      • déréglage des cycles circadiens des plantes, des insectes, des vertébrés et des mammifères;
      • désorientation de certains oiseaux et insectes (la lumière rend impossible la communication entre les lucioles, ce qui affecte leur reproduction);
      • en facilitant l’activité des prédateurs, l’équilibre des écosystèmes est modifié.

Des effets sur les humains – dans le cas de l’éclairage des chantiers routiers, nous pouvons parler de dérèglement du sommeil, si la lumière pénètre dans les chambres à coucher du voisinage.

Quoi faire?

La solution consiste à contrôler quatre éléments : la quantité, la direction, la couleur et la durée de fonctionnement de la lumière.

Généralement, on utilise une batterie de projecteurs très puissants pour éclairer une vaste zone. La quantité de lumière qui se rend à l’endroit où le travail doit être exécuté est soit trop grande (à proximité de l’équipement d’éclairage), soit insuffisante dans les endroits plus éloignés. L’utilisation de plusieurs équipements de moindre intensité aidera tant aux travaux (éclairage plus uniforme) qu’à la protection du voisinage. Il faut souligner que les sources qui émettent une lumière blanche-bleuâtre (iodures métalliques, DEL) ont une brillance beaucoup plus grande que celles qui éclairent dans le spectre jaune (sodium haute pression). Parfois, dans les maisons plus éloignées, c’est la brillance qui dérange!

En utilisant des équipements plus petits, on peut mieux diriger la lumière vers les zones où elle est vraiment requise. L’utilisation de louvres plus grands peut aussi empêcher la lumière de sortir des limites du site (y compris vers le haut).

Si jamais les travaux ne se poursuivent pas durant la nuit (voir l’exemple du bulldozer), il faut prévoir un éclairage de sécurité séparé. Comme la lumière bleue a été montrée du doigt plusieurs fois, utilisez des sources émettant du jaune (sodium haute pression ou DEL ambrées).

Il faut aussi s’assurer que la lumière est éteinte quand elle n’est pas requise! Si, pour des raisons de sécurité, on utilise des luminaires à DEL (ambrées), un détecteur de mouvement (ou autre) peut activer instantanément le luminaire.

La technologie nous aide, il faut seulement (re)prendre le contrôle!

Bibliographie et liens Internet :

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
17 juin 2024

AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
4 juillet 2023

MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
4 juillet 2023

AQTr