L’ingénierie durable ou la version 2.0 de l’ingénierie : l’intégration de la participation publique
Il y a quelques années, la participation publique était une pratique plus répandue dans le domaine de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme que dans le domaine de l’ingénierie. La participation en ingénierie se limitait souvent à l’intégration des partenaires (services municipaux, ministère des Transports, autorités, organismes de transport, etc.) dans le projet, mais le grand public était peu consulté, excepté pour les projets soumis aux études environnementales et au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Ainsi, on constate que la participation publique dans les projets d’ingénierie « traditionnelle », même pour les projets d’envergure, est une pratique nouvelle et qu’elle tend à se développer de plus en plus, tout particulièrement lorsque l’on parle d’ingénierie durable.
De l’ingénierie à l’ingénierie durable…
Abraham et Nguyen (Abraham et Nguyen, 2003) ont défini les neuf principes de l’ingénierie durable lors de la conférence de San Destin sur l’ingénierie verte. L’ingénieur doit à la fois conserver et améliorer les écosystèmes naturels tout en protégeant la santé et le bien-être des humains. Cette définition appuie également la nécessité d’intégrer les communautés et les parties prenantes dans les projets. De nouvelles valeurs y sont intégrées : l’ingénieur doit, au-delà des technologies actuelles, innover et inventer de nouvelles technologies pour atteindre la durabilité.
Ainsi, l’ingénierie durable peut être considérée comme une autre façon de pratiquer l’ingénierie en y intégrant les principes du développement durable (Ordre des ingénieurs du Québec, 2010). Ces définitions mettent en évidence une approche élargie dans la résolution de problèmes posés aux ingénieurs comparativement à l’ingénierie traditionnelle. Certains auteurs, tels que Cushman-Roisin (Cushman- Roisin, 2009) ou encore Allenby (Allenby et Murphy, 2009), ont réalisé une comparaison entre l’ingénierie traditionnelle et l’ingénierie durable. Selon Allenby (Allenby et Murphy, 2009), l’ingénierie durable est une approche plus complexe et systémique. Le tableau 1 synthétise les comparaisons entre l’ingénierie traditionnelle et l’ingénierie durable.
Ainsi, l’ingénierie durable consulte les différentes parties prenantes du projet, y compris les citoyens, pour résoudre les problèmes. L’ingénieur ne travaille pas seul mais en équipe multidisciplinaire, intégrant des ressources ayant des compétences en communication.
La participation : un outil indispensable et incontournable des projets
Il existe quatre niveaux de participation, ces derniers sont présentés ci-dessous. La participation peut s’appliquer indifféremment à chaque étape d’un projet : élaboration, décision, mise en oeuvre et gestion. À différents degrés, selon le niveau de participation choisi, celle-ci permet à la fois :
- De déterminer concrètement et rapidement les problèmes, les enjeux et les pistes de solution grâce à la participation des utilisateurs des différents réseaux de transport (route, transports collectifs et actifs). L’expérience montre que les utilisateurs sont des « experts » de leurs territoires. Ainsi, ils sont en mesure de présenter leur réalité, leurs besoins et de recommander des solutions concrètes;
- De bénéficier d’une chance unique de communiquer avec la population afin de lui expliquer, le cas échéant, les opportunités, les contraintes ou les difficultés de réalisation de certaines propositions;
- D'impliquer la population dans la démarche de planification locale des transports, dans l’objectif d’une visibilité accrue de l’exercice;
- D'accroître l’adhésion de la population et de diminuer les risques que les propositions retenues à la suite de l’étude soient contestées ou même rejetées.
Différentes formes d’activités de consultation sont envisageables. À noter que, pour qu’une consultation publique atteigne ses objectifs, il faut que la population soit informée de l’objet de cette dernière et du cadre dans lequel celle-ci s’inscrit. Plusieurs supports peuvent être utilisés à cette fin : dépliants distribués à domicile, encart dans les journaux locaux, site web, etc. Le Guide des plans locaux de déplacements, conçu par la Direction des transports de la Ville de Montréal1 synthétise très clairement les diverses formes d’activités de participation que sont les sondages, la présentation publique, la consultation publique, les portes ouvertes, les ateliers de travail, les groupes de discussion, les visites terrain et les marches exploratoires. Ce tableau est une bonne base pour alimenter la réflexion sur la ou les formes de participation souhaitées dans le projet, nous vous invitons donc à le consulter.
L’expérience a montré que l’un des facteurs de réussite des études de planification des transports comme les Plans locaux de déplacements (PLD) est la participation des citoyens. Ces études doivent être réalisées dans une démarche pleinement concertée entre les multiples parties prenantes locales, les divers citoyens et les instances gouvernementales du territoire d’étude. Dans le cas des PLD, ces derniers ont l’occasion de faire émerger des consensus sur les déplacements d’un territoire. Seule une culture commune permet de dégager une orientation vers des objectifs comparables adaptés à tous. Ainsi, l’implication des partenaires et des différents intervenants sera essentielle. Enfin, comme l’organisation des déplacements oriente les conditions de vie des résidents d’une agglomération, il devient nécessaire que les élus, les citoyens, les employeurs, les travailleurs et les commerçants soient impliqués et consultés, tout au long du processus de réalisation du PLD. La concertation et la consultation prendront différentes formes afin de s’adapter au mieux au public visé.
Application de l’ingénierie 2.0 – intégration des outils web à la participation
Pour rattraper son « retard » dans le domaine de la participation, l’ingénierie doit innover et utiliser au mieux les nouvelles technologies mises à la disposition du grand public.
Lors du PLD de Rosemont – La Petite-Patrie, réalisé en collaboration avec la firme CIMA+, l’arrondissement a souhaité mettre en place différents niveaux de participation. Des formes plus traditionnelles comme l’organisation de rencontres avec les groupes communautaires, les Sociétés de développement commercial (SDC) et les principaux employeurs et institutions de l’arrondissement2 ont été mises en place. La concertation a également été menée par des rencontres dirigées par la firme Acertys auprès des résidents dans les rues commerçantes (rue Beaubien Est, Plaza Saint-Hubert et rue Masson). À cet effet, l’équipe s’était équipée de tablettes numériques pour réaliser, en direct, une enquête rapide sur les habitudes de déplacement. Par ailleurs, un blogue (www.plandedeplacementrpp.com/) a été mis en place. Cette méthode moins traditionnelle dans les études d’ingénierie est apparue comme une technique simple et efficace de recueillir les avis des citoyens sur leurs habitudes de déplacement et les solutions à mettre en place. Elle nécessite peu de moyens humains et financiers pour sa réalisation. Toutefois, la présence d’un modérateur est recommandée pour encadrer les discussions sur les sujets en transport. Ce support a également permis de mettre en ligne l’ensemble des documents produits lors de cette étude.
Pour l’organisation du forum citoyen, qui a été un moment fort du PLD pour la validation du diagnostic par les citoyens, mais également pour la participation de ces derniers à la recherche de solutions, la participation interactive du public grâce à des télécommandes distribuées à chaque participant a été privilégiée. Ainsi, les participants ont pu voter et donner leurs avis. Un modérateur était également présent pour interroger les participants sur leurs choix. Cet exercice a permis d’appuyer le plan d’action sur le choix des citoyens.
Conclusion
Dans sa pratique, l’ingénierie doit innover et utiliser les nouvelles technologies pour se rapprocher des citoyens et intégrer à sa démarche d’analyse et de résolution de problèmes le plus grand nombre d’utilisateurs possible.
Ainsi, l’adhésion de la population au projet sera accrue et les risques que les propositions soient contestées ou rejetées diminués. Cette démarche s’inscrit dans la logique de l’ingénierie durable qui met au cœur de sa pratique la consultation et la participation citoyennes.
Notes
1- Ville de Montréal – Direction des transports (2010), Guide des plans locaux de déplacements, juin 2010, téléchargeable : http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/ PAGE/ARROND_VMA_FR/MEDIA/DOCUMENTS/GUIDE_PLANS_LOCAUX_D%25C9PLACEMENTS.PDF.
2- Avec la participation du centre de gestion des déplacements Voyagez Futé pour les enquêtes auprès des employeurs.