L’implantation de techniques de « recyclage » dédiées à la réfection et à la reconstruction des chaussées

Dimanche 21 juin 2009
Infrastructures de transport
Recyclage à froid des enrobés (RFE)
Guy Bergeron
Ingénieur
Ministère des Transports et de la Mobilité Durable (MTMD)

Depuis bientôt une vingtaine d’années, le ministère des Transports du Québec (MTQ) contribue activement au développement et à l’implantation de divers procédés ou techniques permettant de valoriser et de réutiliser les matériaux composant une chaussée dans le cadre de travaux de réfection ou de reconstruction. Plusieurs études et projets pilotes ont été entrepris afin d’établir la faisabilité, le potentiel d’utilisation et les domaines d’application de techniques de « recyclage » dans le contexte québécois. Un programme de suivi de comportement a permis d’évaluer les propriétés des matériaux « recyclés », la performance des chaussées « retraitées » et d’établir ainsi les spécifications et les bonnes pratiques liées à l’utilisation de ces techniques.

Le présent article dresse un bilan non exhaustif des actions qui ont été menées par le MTQ pour favoriser l’implantation de trois techniques dites non traditionnelles soit : le retraitement en place, le recyclage à froid des enrobés et l’utilisation de matériaux recyclés issus de la démolition d’ouvrages routiers.

Retraitement en place

Le retraitement en place des chaussées est aussi connu sous l’appellation décohésionnement-stabilisation et parfois pulvérisation-stabilisation, lorsqu’il y a effectivement stabilisation des matériaux.

La technique consiste, dans un premier temps, à concasser le revêtement bitumineux sur toute son épaisseur en lui incorporant une partie de la fondation granulaire sous-jacente. Une fois homogénéisé, le matériau décohésionné est nivelé et densifié pour former une nouvelle fondation (figure 1). La deuxième étape consiste à stabiliser le matériau à l’aide d’un liant sur une épaisseur définie, généralement comprise entre 10 et 15 cm. Cette deuxième étape est toutefois facultative. La méthode peut être combinée avec un mode de réfection traditionnel et la pose d’un revêtement bitumineux en surface complète la technique.

Dès le début des années 1990, les premiers projets pilotes ont mis en évidence le fort potentiel de cette technique, dite de réfection majeure. Elle s’est avérée une solution alternative à la reconstruction d’une chaussée tout en s’intégrant aux pratiques existantes. Comme en témoignent les performances évaluées dans le cadre de suivis de performance depuis 1991, le retraitement en place des chaussées se traduit par des performances équivalentes à celles mesurées sur des chaussées « neuves » (construction et reconstruction). Des études avantages-coûts ont démontré que l’usage de cette technique est justifié comme solution à diverses problématiques observées sur le réseau routier québécois.

Vingt ans après les premiers essais en chantier, c’est plus de1 400 km de route qui ont fait l’objet de travaux de retraitement en place sur le réseau du MTQ, soit près de 5 % du réseau sous la juridiction du MTQ. Le marché généré par de tels besoins a fait en sorte que le nombre d’équipements est passé de deux en 1991 à plus de 30 en 2008 et que les améliorations des équipements en matière de puissance (rendement) ont contribué à étendre l’usage d’une telle technique.

Recyclage à froid des enrobés (RFE )

Cette technique de recyclage consiste à enlever par planage une partie du revêtement bitumineux sur une profondeur généralement comprise entre 9 cm et 10 cm. Le résidu bitumineux est ensuite tamisé si requis, avant l’ajout d’un liant hydrocarboné, généralement une émulsion de bitume (1 % de bitume ajouté). Ces étapes, de même que le malaxage et la pose, sont effectuées en une seule opération et en continu (figure 2).

L’enrobé ainsi fabriqué est recouvert par un enrobé à chaud traditionnel dont les caractéristiques sont déterminées au préalable lors du dimensionnement structural.

Cette technique, déjà utilisée dans les années 1980 aux États- Unis et en Ontario, a été introduite au Québec en 1992. Elle est attrayante puisqu’elle permet de ralentir le phénomène de remontée des fissures et de prolonger ainsi la durée de vie de l’intervention de deux à cinq ans comparativement à un simple recouvrement. Cet aspect revêt un intérêt dans le contexte nord-américain là où la fissuration des enrobés est un paramètre déterminant sur la durée de vie des interventions de recouvrement. Sur la base d’études avantage-coût, il est clair que la technique RFE est très avantageuse dans le contexte québécois de plus, elle permet de limiter la mise en disposition de résidus bitumineux et l’apport de nouveaux matériaux.

En 2008, on compte plus de 625 km de chaussée, majoritairement sur des routes nationales et régionales, qui ont été retraitées à l’aide de cette technique.

Les matériaux recyclés (MR )

Environ 2 millions de tonnes de sous-produits routiers hétérogènes sont générées chaque année au Québec. Avant 1998, elles étaient le plus souvent acheminées dans les sites d’enfouissement de matériaux secs; environ le quart de cette production (surtout des granulats bitumineux) était recyclé dans les remblais.

Dans son Plan d’action québécois sur la gestion des matières résiduelles 1998-2008, le ministère de l’Environnement et de la Faune du Québec (MEF, aujourd’hui MDDE P) proposait diverses actions afin de limiter la quantité de matières résiduelles envoyées à l’élimination. Ce plan proposait, entre autres, la déréglementation de l’utilisation des résidus de béton, d’asphalte et de brique non mélangés pour en favoriser l’utilisation comme matériaux de remblai. C’est dans cette optique que le MTQ a entrepris des travaux visant à encadrer et à optimiser l’utilisation des matériaux issus de la démolition des chaussées puisqu’aucune norme technique n’existait sur ce sujet.

Les premières études en laboratoire ont indiqué que les résidus bitumineux et de béton de ciment avaient un fort potentiel de réutilisation comme matériaux granulaires de chaussée offrant une qualité égale à un matériau traditionnel pour certains usages. Par la suite des spécifications techniques ont été élaborées en vue de réaliser les premiers projets pilotes. Les suivis de comportement et d’essais effectués sur le terrain ont confirmé ces prémices. Le MTQ a implanté cette approche en considérant la complexité liée à la réalisation de travaux majeurs de reconstruction en permettant l’usage des MR sur une base optionnelle et volontaire d’un point de vue contractuel. Cette approche a eu un effet positif de la part de l’industrie qui a su s’adapter à ces nouveaux défis.

À titre d’exemple, depuis 1998, les projets majeurs de reconstruction de chaussées prévoient la réutilisation des MR (figures 3 et 4).

Des adaptations ont été apportées aux méthodes de travail lors de la démolition des anciennes chaussées et des équipements de concassage adaptés à l’élaboration de MR sont apparus sur le marché, ce qui a permis d’implanter sur une base courante l’usage des MR.

Cette démarche a mené en 2003 à l’établissement d’une norme (NQ-2560-600) qui permet d’encadrer l’usage des MR en précisant les spécifications techniques et environnementales requises selon les usages projetés. Une classification prévoit sept classes de MR selon la proportion des constituants (figure 5)

Plus de 10 ans après le premier projet pilote, au moins 2,3 millions de tonnes de MR ont été fabriquées dans le cadre de projets routiers du MTQ et ont été réutilisées comme matériaux granulaires dans les fondations des nouvelles chaussées.

Le constat est plus que positif tant sur le plan économique qu’environnemental. L’usage des MR est devenu une pratique courante dans le cadre des projets majeurs de reconstruction, notamment dans la région de Montréal. En plus de limiter l’apport de matériaux « neufs » lors de la construction de la chaussée, l’usage de MR se traduit par une réduction significative des volumes de matériaux transportés, ce qui contribue à limiter les impacts des travaux sur le milieu.

Au cours des 20 dernières années, le MTQ a contribué de façon soutenue à l’implantation de techniques de « recyclage » dédiées à la réfection et la reconstruction des chaussées.

Des actions ont été menées afin de faciliter l’implantation des trois techniques décrites et de coordonner les efforts des différents intervenants impliqués. L’un des premiers constats est qu’une étroite collaboration avec l’industrie ainsi qu’avec tous les partenaires est essentielle. La formation de groupes de travail et de rencontres lors des comités techniques (exemple : MTQ-ACRGTQ) s’est avérée une approche constructive. Cette démarche a permis d’établir les besoins en matière de recherches, ce qui a conduit, entre autres, à l’élaboration de méthodes de formulation, de spécifications techniques, d’adaptation des méthodes de dimensionnement structural et la mise au point de moyens de contrôle adaptés à ces chantiers particuliers. Ces réalisations ainsi que l’élaboration et la diffusion de devis types, de programmes de formation et de guides techniques ont permis d’établir des balises et de faire connaître ces techniques.

Conclusion

Afin d’augmenter les chances de succès et de maximiser les retombées des projets pilotes, on note que l’établissement d’un programme de suivi de comportement comprenant des sections témoins est essentiel. Cette démarche rigoureuse est nécessaire pour recueillir des constats valides et représentatifs permettant de statuer sur divers aspects de ces techniques. La diffusion des principaux constats liés à la préparation, à la réalisation et aux performances des projets pilotes dans le cadre de colloques s’est avérée une approche efficace pour faire connaître le potentiel de ces techniques et pour étendre ainsi leurs usages dans divers contextes.

Au cours de l’année 2009, le MTQ a adopté une stratégie de développement durable qui prévoit, entre autres, de concevoir et de réaliser des travaux en intégrant ce concept, ce qui implique de limiter les impacts des travaux sur l’environnement. La démarche d’implantation des trois techniques résumées dans cet article se veut un exemple concret d’actions accomplies par le MTQ contribuant à l’atteinte de ses objectifs.

Sur la toile

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