L'émergence de l'animation de chantier

Mardi 1 septembre 2015
Infrastructures de transport, Gouvernance, Infrastructures de transport, Mobilité durable
Source : Bien urbain
Marc-André Fortin P.
Membre fondateur et directeur de la production
Coopérative L'Estrade

Ce n’est un secret pour personne : les chantiers routiers en milieu urbain habité sont porteurs de nuisances et suscitent autant le mécontentement des résidents, des commerçants, des piétons et des cyclistes que des automobilistes qui les fréquentent. Pourtant, un nouvel intérêt envers l’intégration du design urbain aux chantiers urbains émerge depuis peu. Le design peut porter secours aux chantiers en leur insufflant à la fois quelques éléments d’esthétique et en les utilisant comme plateformes de diffusion de l’information. Conscients du fort potentiel de nuisances que peuvent représenter les chantiers en zones urbaines, de plus en plus d’acteurs ont soulevé le besoin de réfléchir à la façon dont sont gérés ces espaces en mutation. À titre d’exemple, le Bureau du design de la Ville de Montréal a organisé, en octobre 2014, un colloque international ayant comme thématique Le Design au secours des grands chantiers urbains.

 

La psychologie des chantiers

Les professionnels de l’aménagement mettent en avant depuis un certain temps le rôle joué par le design, l’architecture et l’art dans nos villes et sur notre expérience d’un lieu. Une étude réalisée par la Ville de New York, The Economic Benefit of Sustainable Streets, souligne l’importance du design urbain et des aménagements respectueux des usagers – notamment par l’implantation d’une signalétique et d’un mobilier urbain d’intérêt – dans la fréquentation des rues commerciales et sur le comportement d’achat de ses usagers. Des études menées par le BWM Guggenheim Lab et par les chercheurs en psychologie Colin Ellard et Charles Montgomery, dans le cadre de Testing Testing! A Psychological Study On City Spaces And How They Affect Our Bodies And Mind, visaient à comprendre les réactions psychologiques de promeneurs plongés dans différents milieux urbains. Elles ont permis de démontrer que le promeneur expérimente différemment des paysages et des environnements urbains selon l’esthétique du lieu. Par exemple, les espaces verts provoquent un sentiment de relaxation chez les usagers. Aussi, les façades occupées par des éléments visuellement plaisants ou les rues caractérisées par une forte complexité visuelle induisent de la bonne humeur, excitent les sens et donnent de l’énergie aux usagers. À l’inverse, les façades et les palissades aveugles, vides et tristes, engendrent un sentiment de malaise qui se traduit par une augmentation de la vitesse de marche, l’absence de pause dans la promenade et un regard qui se pose peu sur l’environnement.

 

Colin Ellard a, par la suite, reproduit l’expérience autour de sites de construction, comparant les réactions psychologiques des usagers confrontés à une palissade traditionnelle dans un premier temps et à une palissade réalisée par des artistes dans un second temps. Dans le second cas de figure, le rythme de marche des promeneurs était jusqu’à deux fois plus lent, les pauses 25% plus fréquentes et les têtes se tournaient 30% plus souvent vers la palissade artistique que vers la palissade traditionnelle. Le tout menait d’ailleurs à des interactions entre les usagers. Charles Montgomery met de l’avant dans son ouvrage The Happy City, à travers différentes études de cas et récits urbains, comment « l’architecture de la complexité » engendre une augmentation de la sociabilité et de la convivialité au sein du lieu ciblé. Elle induirait une perception positive de ce lieu complexe et, à plus long terme, de bonnes retombées économiques pour les commerces y ayant pignon sur rue.

 

Les coûts du chantier

Le guide Répercussions sociales et économiques des travaux d’infrastructures réalisé par le CERIU (Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines) pour les municipalités québécoises, cherche à évaluer les coûts socioéconomiques des travaux de renouvellement des conduites d’eau potable et des égouts. Ce guide souligne que : « Les travaux de renouvellement des infrastructures souterraines entraînent des modifications du tissu économique de la rue où les travaux sont réalisés. La fermeture partielle ou complète des voies et des accès, la présence de tranchées plus ou moins importantes, l’encombrement des espaces par les machineries et autres équipements, le manque d’espaces de stationnement, la congestion ainsi que les saletés et déchets rendent les lieux commerciaux difficilement accessibles ». Les commerçants se trouvent face à plusieurs problèmes, dont « la perte de la clientèle qui préfère se diriger vers des endroits plus pratiques ».

 

En effet, le CERIU met en avant que de tels travaux sur les artères commerciales engendrent des coûts sociaux considérables. Ces coûts sociaux sont souvent ignorés dans les études préalables et dans les calculs des coûts de construction, faussant ainsi le coût total du projet. Ils intègrent une variété de dépenses et de pertes monétaires provoquées par les diverses nuisances collatérales des chantiers, telles que la pollution de l’air et du sol, l’entrave à l’accessibilité, la perte d’efficacité de déplacement, la réduction de la qualité de vie des résidents et des usagers, la baisse de productivité au travail, l’insécurité routière, la saleté, la possible perte de vies humaines, la perte de revenus commerciaux, de location et de propriété, etc. À titre d’exemple, pour le projet de réfection des infrastructures de l’avenue Saint-Mathieu à Montréal, en 2014, le coût de construction du projet était de 1,5 million. Les coûts sociaux, eux, ont été évalués à 1,4 million, élevant ainsi le coût total du projet à 2,9 millions de dollars. Cette évaluation inclut une baisse du chiffre d’affaires de 35% pour l’artère pendant cette période, ce qui se traduit par une baisse de revenus de 20% à 50% selon les commerçants.

 

D’autres cas montréalais sont frappants. Les commerces du boulevard Saint-Laurent ont eux aussi connu une baisse de leur revenu de 10% à 60% pendant la période des travaux. Les commerçants et les usagers ont également été touchés lors des réfections des infrastructures sur les artères Bernard et Parc, menant dans ce dernier cas à la fermeture de plusieurs commerces et à une chute drastique des revenus locatifs.

 

Les chantiers routiers comprenant une ou plusieurs « opérations à cœur ouvert », souvent caractérisés par des travaux de reconstruction ou le remplacement des infrastructures souterraines, sont considérés par le CERIU comme provoquant « des impacts plus élevés que d’autres types de chantier ». Comme ils requièrent l’ouverture de la chaussée pour atteindre les canalisations, ils engendrent des coûts substantiels, des nuisances sonores, une pollution de l’air importante et ils se prolongent fréquemment sur de longues périodes. De plus, ce type de chantier occupe partiellement ou totalement les voies de circulation, entravant ainsi la mobilité au sein du site et diminuant son accessibilité.

 

Comme les chantiers routiers sont des opérations linéaires, ils provoquent des complications en matière de circulation et de transport des personnes et des marchandises. Ils multiplient l’impact des nuisances, notamment puisque l’espace en chantier est étalé et nuit à la fois aux usagers du site et aux voisins plus éloignés. En effet, les problèmes de circulation routière et piétonne ne sauraient se limiter au seul site en construction et les embouteillages perturbent bien souvent les rues et les routes adjacentes. Ces chantiers ont un effet ricochet sur l’ensemble du réseau routier dans un milieu urbain et ont des impacts sur l’achalandage commercial tout autour, comme sur la qualité de vie des voisins de second degré. De plus, la durée significative de tels travaux engendre un phasage dans le temps et dans l’espace, perturbant l’artère en entier et renforçant l’impression, chez les résidents et les passants, que les travaux s’éternisent.

 

Comment revaloriser le chantier?

De timides mesures d’atténuation et de compensation ont déjà été mises en avant par certains maîtres d’œuvre à l’étranger afin de faire face à ces problèmes. À titre d’exemple, des ateliers participatifs et d’autres initiatives visant à intégrer la population locale au chantier de construction ont déjà été menés par les collectifs ETC et Polau en France. Ils ont suscité une appropriation de l’espace en mutation par les citoyens. Le chantier est devenu, grâce aux interventions de ces collectifs, un objet de fierté pour le secteur et ses usagers. Son animation a facilité l’intégration des travaux à l’environnement social malgré les nuisances qu’il a engendrées.

 

Il semble désormais nécessaire de planifier, en amont des projets de construction, des stratégies globales de maintien de l’attractivité des artères en réfection et de préservation de la qualité de vie de ses usagers. C’est dans ce contexte que la jeune coopérative de travail L’Estrade, basée à Montréal, s’est donné comme mission d’accompagner les chantiers durant chacune des étapes de leur réalisation, de la préconception à la livraison des projets. L’atteinte de ces objectifs passe, pour L’Estrade, par la mise en place d’un plan de communication détaillé, ainsi que par des interventions physiques, artistiques et culturelles aux alentours des chantiers routiers.

 

Pour maintenir l’attractivité d’un lieu en chantier, L’Estrade propose notamment des aménagements in situ, c’est-à-dire des dispositifs construits et peu encombrants qui s’intègrent aux abords du chantier pour en diminuer les sources de nuisance et embellir les lieux défigurés par les travaux. Il peut s’agir, par exemple, d’utiliser un mobilier design, de disposer des suspensions végétalisées ou encore d’installer des palissades artistiques comprenant certaines fenêtres interactives. Sur de grands chantiers, il peut être approprié d’aménager une cabane de chantier mobile et ouverte au public qui assure une diffusion maximale de l’information sur le projet auprès des passants. Cette cabane peut aussi accueillir les activités d’animation de chantier, c’est-à-dire une programmation culturelle riche qui contribue à transformer l’espace en lui conférant un caractère ludique. Elle peut aussi être le siège d’expositions ou d’activités festives qui suscitent la rencontre entre les usagers d’une rue. Tous ces événements culturels aux abords des chantiers attirent l’attention sur le livrable et mettent en valeur le projet.

 

En somme, le chantier routier, particulièrement en milieu urbain résidentiel ou commercial, mérite d’être investi par le design urbain. Le design maximise son acceptabilité sociale, tout comme il permet de limiter les conséquences néfastes sur les commerçants et les résidents. De plus en plus, les maîtres d’œuvre, qu’ils soient publics ou privés, se retrouvent avec la responsabilité sociale d’assurer une intégration optimale du chantier à l’espace urbain. Faire du chantier de construction un bon voisin, c’est aussi redonner aux grands travaux leurs lettres de noblesse.

Sur la toile

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