Haute qualité et plus bas soumissionnaire : éternelle incompatibilité

Mardi 1 septembre 2015
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Route

La performance de nos chantiers routiers, le respect des délais et des budgets, une coordination efficace des travaux, la fluidité de la circulation sont à l’avant-scène de nos préoccupations. Le consensus semble être que nous pouvons faire mieux sur tous ces plans. L’opinion évoquée dans ce texte est que le mode d’attribution des contrats publics au Québec ne favorise pas la qualité et qu’une réflexion sur ce sujet est nécessaire.

Performance, coordination et fluidité relèvent toutes de la qualité de gestion. Or, la qualité de gestion est la somme de ressources et de compétences. Celles-ci ont un coût. Il est difficile de s’offrir cette qualité de gestion en octroyant le contrat au soumissionnaire le moins cher.

Au Québec, les règles d’attribution des contrats publics de construction routière sont régies strictement. C’est le plus bas soumissionnaire conforme qui remporte le projet. Et la conformité, dans ce cas, fait référence le plus souvent à des clauses administratives.

Acheter du sable ou du sel du plus bas soumissionnaire relève d’une saine gestion. Se faire opérer par le chirurgien-dentiste qui offre un rabais de 40% sur le prix de ses concurrents ou acheter la télévision la moins chère du magasin suggère plutôt une grande tolérance au risque ou une indifférence totale à la qualité. Les individus ne le font pas pour eux-mêmes. Pourquoi le secteur public le ferait-il pour les citoyens? Et  avec  leur argent qui plus est! Nous sommes loin d’une gestion de bon père de famille.

Donner un contrat au plus bas soumissionnaire, c’est favoriser celui qui s’est trompé dans sa soumission, ce qui arrive plus souvent qu’on ne le pense, c’est favoriser l’entreprise en difficulté qui doit absolument ramasser un contrat, coûte que coûte, pour survivre à court terme, c’est favoriser les guerres de prix, dont tout bon gestionnaire vous dira que c’est une stratégie dévastatrice pour toute une industrie, car c’est un nivellement par le bas.

Le résultat est évident. L’adjudicataire fera tout ce qui est en son pouvoir pour rattraper sa perte de marge. Au diable la qualité! Au diable le petit effort supplémentaire pour gérer au mieux la coordination, la communication, les efforts de mitigation. Au diable la réputation puisque, de toute façon, le prochain contrat ira au plus bas soumissionnaire.

Il est donc temps de réfléchir à notre système d’attribution de contrats. Aux deux extrêmes du spectre des modes d’attribution de contrats publics se trouvent deux principes : celui du moins-disant et celui du mieux-disant.

Le moins-disant, ou plus bas soumissionnaire, est notre système d’attribution de contrats publics au Québec. Simple, il a les inconvénients décrits ci-dessus. Certains diront que l’évaluation est totalement objective, ce qui protège contre toute forme de corruption. La commission Charbonneau vient de mettre un grand coup de hache dans cette croyance.

Tandis que le mieux-disant est un principe qui attribue le contrat à la solution qui répond le mieux, qualitativement, au besoin. La subjectivité entre dans l’équation. Et la subjectivité ouvre la porte à l’arbitraire et à la corruption. La solution ne se trouve pas dans ces deux principes.

Que recherche une administration publique dans un appel d’offres?

Obtenir le produit ou le service recherché avec des caractéristiques et des conditions prédéterminées (qualité, durabilité, fonction, conditions), au meilleur prix possible et dans un contexte de concurrence loyale et saine.

Il faudrait, en premier lieu, distinguer quatre catégories de soumissions en fonction de ce qui est acquis :

- Acquisition de biens fongibles, comme du sel de voirie, de l’agrégat, de l’aluminium;

- Réalisation d’un projet de construction, comme la construction d’un viaduc ou la réfection d’une route;

- Acquisition d’un produit ou d’un service ou réalisation d’un projet de haute technicité, complexité ou technologie, comme la reconstruction de l’échangeur Turcot à Montréal ou l’achat de panneaux à messages variables;

- Acquisition d’un produit ou d’un service unique, soit parce qu’il est breveté, soit parce que son fournisseur a une avance technologique marquée, comme l’utilisation des barrières de béton déplaçables.

Dans le cas des acquisitions de biens fongibles, il est facile de vérifier que le produit respecte les  spécifications demandées. Et le produit de l’un est équivalent au produit de l’autre. Les contrats devraient donc continuer à être accordés au plus bas soumissionnaire conforme, comme c’est le cas à l’heure actuelle.

Pour les acquisitions de produits et de services uniques, brevetés ou pour lesquels un fournisseur détient une avance technologique marquée, les administrations publiques devraient entrer en négociation directe avec le fournisseur concerné. Nos gouvernements ont suffisamment de cadres talentueux qui, eux-mêmes, ont recours à des spécialistes externes, également talentueux, pour qu’on s’attende à une négociation bien menée. S’agissant de contrats publics, les raisons pour lesquelles le recours à un fournisseur unique est requis ainsi que tous les points de négociation et les critères de décision devraient être documentés par l’équipe de négociation et vérifiés par un service indépendant. Les équipes de négociation d’un minimum de trois personnes devraient être composées, au cas par cas, à chaque nouvelle acquisition.

Pour la réalisation de projets de construction, l’objectif de l’acheteur devrait être de payer le juste prix plutôt que le plus bas prix. Dans ces projets, le nombre de soumissionnaires est, en général, supérieur à trois. Ces projets ont tous une enveloppe budgétaire appuyée par une estimation.

Pour payer le juste prix plutôt que le plus bas prix et, en même temps, éviter tout arrangement entre les soumissionnaires pour imposer illégalement l’adjudicataire, il faut introduire une donnée qui, premièrement, élimine les extrêmes et, deuxièmement, empêche de connaître à l’avance le prix qui permettrait de gagner l’appel d’offres. Cette donnée est l’écart-type, cher aux statisticiens.

L’écart-type mesure la dispersion de données, en d’autres termes, la variation autour de la moyenne. Quand les données ont une distribution normale (en termes statistiques), environ 68 % des données sont comprises dans un intervalle équivalent à l’écart-type, en plus ou en moins, par rapport à la moyenne.

Imaginons que l’on octroie un contrat au plus bas prix soumis à l’intérieur de l’écart-type. C’est toujours le plus bas prix qui l’emporte, mais le plus bas prix comparativement à un groupe de prix raisonnables. Les extrêmes sont éliminés et l’organisation de la corruption est rendue ardue.

Prenons l’exemple d’un projet de réfection de route pour lequel l’estimation est de 5 000 000 $. Cinq soumissionnaires ont soumis des prix selon le tableau ci-dessous. La moyenne de ces prix est de 5 220 000 $. L’écart-type, donc la variance autour de cette moyenne, est de 708 237,25 $. La soumission la plus basse retenue se mesure comparativement à la moyenne des soumissions, de laquelle on soustrait l’écart-type, donc 5 220 000 $ moins 708 237,25 $ ou 4 511 762,75 $. La plus basse soumission à l’intérieur de l’écart-type est donc celle du soumissionnaire C à 4 800 000 $.

Cette méthode a permis d’éliminer la soumission à 4 100 000 $ qui est pour le moins inquiétante. On vise donc bien un prix juste, économique, qui permettra à l’entrepreneur d’avoir une marge qu’on souhaite normale et qui lui permette d’offrir une qualité de travail adéquate.

Cette méthode rend également la vie dure aux entreprises tentées par la corruption. En effet, il ne suffit plus de lancer un message général aux autres soumissionnaires de soumissionner au-dessus d’un certain prix pour se positionner. Chaque soumission influence la moyenne et l’écart-type. Il faudrait donc que le corrupteur contrôle le prix précis de tous les soumissionnaires pour contrôler l’issue de la soumission. Cette méthode de calcul complique grandement l’effort de corruption.

Dans l’exemple ci-dessus, si le soumissionnaire A décidé, à la dernière minute, de changer son prix pour 5 000 000 $, la moyenne moins l’écart-type devient 4 922 506,54 $. Le prix de ce soumissionnaire est maintenant dans l’écart-type et il gagne la soumission puisque le soumissionnaire C est éliminé. Connaître ce résultat à l’avance aurait demandé de savoir qui soumissionnait et connaître précisément le prix de chacun. Bonne chance!

Cette méthode d’octroi de contrat n’empêche pas la gestion des cas particuliers. En effet, si la soumission gagnante est trop élevée comparativement à l’estimation, la soumission peut être annulée, comme c’est déjà possible à l’heure actuelle. Si seulement un ou deux soumissionnaires répondent à l’appel d’offres, l’administration peut, soit annuler l’appel d’offres, soit le transférer dans le cadre d’un achat d’un fournisseur unique et entreprendre une négociation.

Enfin, dans le cas de l’acquisition d’un produit ou d’un service, ou de la réalisation d’un projet de haute technicité, complexité ou technologie, il faut intégrer d’autres composantes que le prix.

Le gouvernement du Québec utilise déjà le modèle de préqualification pour certains projets. On ne saurait donner des projets de l’ampleur de la reconstruction de l’échangeur Turcot à Montréal à n’importe quelle entreprise. Les consortiums préqualifiés doivent prouver leurs capacités financières et techniques. Aucun prix ne rentre en ligne de compte à ce niveau. Seules les entreprises préqualifiées pourront ensuite soumissionner et le plus bas soumissionnaire se verra alors octroyer le contrat. C’est une saine pratique, car les entreprises qui n’auraient pas la capacité de réaliser le projet sont écartées avant l’appel d’offres. Le champ de bataille est équitable, car seuls les joueurs sérieux s’y trouvent et la qualité générale d’exécution du contrat sera sans doute adéquate.

Mais la préqualification implique un processus long et consommateur de ressources publiques et n’est donc appliquée que pour des contrats d’une certaine importance. Pour tous les autres projets de haute technicité, complexité ou technologie, il est essentiel d’introduire d’autres critères que le prix.

Une idée serait d’appliquer une grille de sélection comme cela existe déjà dans beaucoup d’organisations. Les conditions essentielles à respecter sont les suivantes :

- la grille de sélection doit être établie d’avance et communiquée aux soumissionnaires;

- les critères non financiers doivent être mesurables et quantifiables.

Ces critères devraient au moins couvrir les points suivants :

- Capacité opérationnelle de réaliser le contrat;

- Expérience dans la réalisation de contrats similaires (en taille et en complexité).

La pondération devrait être à l’initiative de l’organisme qui lance l’appel d’offres, mais les critères non financiers devraient avoir un poids compris entre 20 % et 40 %. L’évaluation du prix, quant à elle, devrait se faire selon la méthode de l’écart-type, décrite ci-dessus.

En résumé, l’approche préconisée est donc de remplacer la règle du plus bas soumissionnaire par la règle du plus bas soumissionnaire à l’intérieur de l’écart-type des réponses obtenues, et ce, pour tous les contrats de construction ainsi que les projets de haute technicité, complexité ou technologie, et d’introduire des critères non financiers pour ces derniers.

Le principe sous-jacent est que la qualité a un coût et que ce coût doit être supporté par notre société.

Il faut accepter que les entreprises dans le domaine de la construction fassent des marges normales, parce que ces marges permettent d’investir dans des ressources pour mieux gérer, dans la qualité du personnel,

dans de meilleurs équipements, dans la formation et la sécurité.

Des marges saines permettent aux entreprises de se développer, de croître et, pour certaines, de sortir des frontières du Québec.

Les firmes d’ingénieurs québécoises ont une très bonne réputation dans le monde entier. Elles brillent sur plusieurs continents, achètent des firmes étrangères, remportent des contrats importants et n’ont aucun

complexe vis à vis leurs concurrents d’autres pays. L’une des raisons est qu’elles ne se battent pas que sur les prix ici au Québec puisqu’elles sont choisies sur la base d’une grille d’évaluation multicritère. Elles ont donc eu les capacités financières de se développer pour le grand bénéfice de tout le Québec.

Parallèlement, nos entreprises de construction, qui se battent constamment pour être les moins chères, sont cantonnées au Québec et, relativement, de petite taille. Lorsqu’un projet majeur est lancé au Québec, les  consortiums se créent autour d’entrepreneurs américains ou européens. À l’échelle mondiale, nos entrepreneurs sont faibles, chétifs et absents. Donnons-leur un mode d’attribution de contrat qui leur  permette de se développer et de partir à la conquête des marchés internationaux. Donnons-leur les moyens de nous offrir une meilleure qualité de travail ici dans nos rues, tous les jours, et de nous rendre fiers de leurs réalisations à l’étranger.

Un mode d’attribution des contrats publics de construction mieux pensé favoriserait la qualité des projets locaux et contribuerait également à l’enrichissement collectif du Québec.

Sur la toile

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