Gestion stratégique des infrastructures routières

Lundi 21 décembre 2015
Infrastructures de transport, Infrastructures de transport
Infrastructures routières
Martin Boucher
Pilote SGC
Ministère des Transports et de la Mobilité Durable (MTMD)
Yves Savard
Responsable Secteur Auscultation et Gestion des chaussées
Ministère des Transports et de la Mobilité Durable (MTMD)

Lors de la planification des travaux routiers, le réflexe du « pire en premier » est naturel : on est alors tenté de prioriser les chaussées les plus détériorées. C’est intuitif, ça semble logique et c’est relativement simple. Cependant, cette façon de faire s’avère inefficace lorsque les besoins sont grands et  le budget limité. En effet, les chaussées qui ne sont pas entretenues à temps se  détériorent rapidement et requièrent alors des travaux lourds plus dispendieux.  Ainsi, au fil des années, le déficit d’entretien cumulé augmente et il est de plus en plus difficile et coûteux de redresser la situation.

Le défi est d’investir sur la bonne chaussée au bon moment avec la bonne technique grâce à une planification optimale des interventions et d’éviter le réflexe du « pire en premier ».

Bien connaître le réseau routier et les besoins d’intervention

Les décisions éclairées sont basées sur de bonnes informations. Il importe donc de disposer de données fiables et complètes relatives au réseau routier afin de :

  • Établir un inventaire complet des caractéristiques du réseau;
  • Connaître l’état du réseau, son évolution et repérer les tendances qui requièrent une action;
  • Évaluer l’ensemble des besoins en travaux routiers en fonction des dégradations observées et du niveau de service souhaité;
  • Déterminer les chaussées prioritaires ou stratégiques qui nécessitent une attention particulière;
  • Faire le bilan des sommes investies et des travaux routiers réalisés au fil des ans.

Les données descriptives de la chaussée devraient comprendre : un identifiant, la localisation, la longueur, le type de revêtement, le niveau hiérarchique ou de priorité et la nature des travaux routiers requis. Il est également souhaitable de connaître la largeur de la chaussée, l’envergure et la composition du trafic, le milieu, l’année de construction, l’année et la nature des derniers travaux réalisés et l’épaisseur du revêtement existant.

Les principaux indicateurs à mesurer pour connaître l’état de la chaussée sont :

  • Le confort au roulement. L’indice de rugosité international (IRI) est la mesure de l’uni (planéité) de la surface de la chaussée. L’IRI permet ainsi d’apprécier le confort au roulement offert par la chaussée, principale caractéristique de la qualité de la chaussée perçue par les usagers. L’uni peut avoir une incidence sur le coût de fonctionnement des véhicules et sur la sécurité routière. La mesure de l’IRI faisant l’objet d’une norme internationale, c’est un indicateur utilisé par   de nombreuses administrations routières dans le monde.
  • La    profondeur des ornières. Les ornières sont les dépressions longitudinales situées   dans les pistes de roues. Lorsque leur   profondeur est importante, elles sont sus-  ceptibles de retenir l’eau et de provoquer   un phénomène d’aquaplanage. Par conséquent, en plus de rendre la conduite inconfortable, elles peuvent avoir une incidence   sur la sécurité des usagers.
  • L’envergure et le type de fissuration. Les   fissures sont des ruptures du revêtement. Elles sont susceptibles d’engendrer un problème d’infiltration d’eau dans la chaussée et de mener à une détérioration du revêtement. La fissuration fournit de précieux indices sur la source de la détérioration (retrait thermique, fatigue du revêtement, etc.) et la solution appropriée.

D’autres dégradations peuvent également être mesurées pour compléter le portrait  de l’état du réseau, telles que le type des  ornières, les signes de gélivité de la chaussée, la déflexion, la macrotexture et la présence  de pelades, de nids-de-poule, de ressuage ou de désenrobage.

Il est essentiel de porter une attention particulière à la qualité et à l’exactitude des  données afin de maintenir un niveau de confiance élevé dans les résultats. Chaque étape doit être couverte par un programme d’assurance qualité complet et rigoureux quant à la précision et la localisation des  données. Et un cycle de mise à jour des  données doit être mis en place. Une banque de données contenant des informations  désuètes présente peu d’intérêt et risque d’être délaissée.

Établir une stratégie de planification des interventions

Une stratégie de planification des interventions vise à maximiser les retombées à long terme des investissements d’entretien et de réhabilitation du réseau routier. S’appuyant sur les principes modernes de saine gestion des actifs routiers, tels que les analyses avantages-coûts, la stratégie devrait s’articuler autour des quatre  volets complémentaires suivants, chacun d’eux ayant son propre objectif.

Premier volet : interventions de réhabilitation à rentabilité et efficacité élevées

La stratégie doit consacrer la majeure partie des investissements à la réalisation d’interventions correctives dont la rentabilité et l’efficacité sont élevées. Il peut s’agir de travaux de réhabilitation de surface ou en profondeur de la chaussée.

L’objectif est de privilégier les interventions dont le rapport avantages-coût est  le plus intéressant à long terme pour atteindre les résultats visés. Ces avantages sont en fait la comptabilisation de l’amélioration nette de l’état de la chaussée et  de sa durée de vie due à l’intervention, représentée par l’aire sous la courbe de  l’indicateur (ou des indicateurs) de performance en fonction du temps (voir l’illustration ci-dessous).

Illustration de l'amélioration nette de l'état de la chaussée
Source : Ministère des Transports du Québec.
Référence : Illustration de l'amélioration nette de l'état de la chaussée et de sa durée de vie (avantages) des travaux routiers.

Enfin, le calcul du rapport avantages-coût des interventions, qui sert à leur priorisation, est le suivant :

Rapport avantages-coût = coefficients de priorité x avantages/coût

Où :

  • Coefficients de priorité : facteurs de pondération permettant de privilégier les chaussées les plus fréquentées et de privilégier les chaussées prioritaires;
  • Avantages : amélioration nette de l’état de la chaussée (aire sous la courbe de dégradation) ou peuvent être approximés par l’amélioration de la durée de vie de la chaussée;
  • Coût : coût unitaire de l’intervention.

Le calcul du rapport avantages-coût doit être effectué pour l’ensemble des besoins de réhabilitation du réseau routier, que cette dernière soit en surface ou en profondeur, et non pas seulement sur les chaussées déjà très dégradées. En effet, parmi tous les besoins de réhabilitation, on veut  sélectionner les meilleurs projets selon le  rapport avantages-coût à long terme, pas  simplement selon l’état actuel de la chaussée.

Deuxième volet : interventions préventives

La stratégie doit prévoir la réalisation d’interventions préventives sur les chaussées en bon état, mais qui commencent lentement  à se dégrader, pour préserver leur état et augmenter leur durée de vie utile. Il est  particulièrement avantageux de planifier  systématiquement des interventions préventives sur les chaussées récemment réhabilitées en profondeur et reconstruites. Peu coûteuses, elles consistent typiquement à sceller les fissures ou à recouvrir la surface d’un revêtement mince.

Troisième volet : interventions palliatives

Pour les chaussées du réseau qui sont en très mauvais état, mais pour lesquelles une intervention de réhabilitation ne peut être effectuée à court terme, des interventions temporaires sont prévues. Ces interventions palliatives visent à offrir aux usagers, au moindre coût possible, un niveau de qualité et de sécurité adéquat jusqu’à ce qu’une intervention de réhabilitation corrective puisse être réalisée.

Il faut faire attention à ne pas céder à la  tentation de faire trop d’interventions palliatives : si elles contribuent à améliorer l’état du réseau à court terme, leur durée de vie  est limitée et les besoins de réhabilitation  réapparaissent après quelques années. Le nom le dit : l’intervention pallie le problème, elle ne le règle pas !

Quatrième volet : autres considérations et impondérables

Il arrive parfois que des enjeux et des besoins  locaux particuliers se présentent lors de l’élaboration du plan d’intervention. Afin de conserver une stratégie réaliste et adaptée,  une proportion du budget est réservée  pour répondre à d’autres considérations et impondérables reliés à des interventions qui sortent du cadre de la stratégie. Les interventions à rentabilité et efficacité  élevées demeurent néanmoins préconisées.

Adapter selon les besoins et les moyens

Il existe différentes techniques d’auscultation, allant du relevé  visuel à l’utilisation d’équipements automatisés de haute  technologie. Les systèmes de gestion des chaussées pour traiter et analyser les données peuvent également prendre différentes formes, de l’utilisation d’une suite bureautique à l’implantation d’un logiciel commercial sophistiqué. Il est important de bien définir ses besoins, en gardant en tête  l’objectif de l’exercice : fournir l’information requise pour une planification qui optimise où, quand et comment intervenir. Les éléments à considérer sont le type, l’état général et  l’envergure du réseau routier, le degré de précision souhaité, les ressources humaines et budgétaires disponibles et, bien sûr, le rapport avantages-coût des solutions disponibles.

Une approche évolutive peut être adoptée, c’est-à-dire commencer modestement puis évoluer graduellement, les besoins et les objectifs se précisant au fil des années. D’ailleurs, pour demeurer optimale, la répartition du budget selon les différents volets de la stratégie doit être adaptée et révisée périodiquement en fonction de l’évolution des besoins du réseau,  des ressources budgétaires imparties, des objectifs d’état  visés et du délai alloué pour atteindre ces objectifs.

Conclusion

Le réflexe du « pire en premier » lors la planification des travaux  routiers, aussi intuitif soit-il, s’avère inefficace lorsque les  besoins sont grands et le budget limité. Il est préférable d’adopter une méthodologie de planification des travaux  routiers basée sur une bonne connaissance du réseau, la considération de l’ensemble de ses besoins, ainsi que sur  une stratégie qui maximise les retombées à long terme des investissements d’entretien et de réhabilitation du réseau  routier. Car, si le niveau budgétaire est un facteur important,  la façon de l’investir l’est tout autant.

Références

Haas, Ralf & Hudson, Ronald W. (2015). « Pavement Asset  Management », chap. 25.6 Selection of an Optimal Strategy.

Menendez, Jose Rafael & Narciso Paul J. R. (2012). « Assessing the Impact of Worst-First Prioritization of Maintenance and  Rehabilitation (M&R) Projects on Pavement Networks », 8th Annual  Inter-University Symposium on Infrastructure Management,  Atlanta, GA.

Ministère des Transports du Québec. (2013). « Bilan de l’état des chaussées du réseau routier supérieur québécois ».

Sur la toile

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
4 juillet 2023

MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
4 juillet 2023

AQTr

https://aqtr.com/association/actualites/deposez-votre-candidature-devenez-membre-comites-techniques-groupes-detude-lassociation-mondiale
4 juillet 2023

AQTr