La gestion des chaussées
Depuis 1912, soit depuis la création même du ministère de la Voirie, les responsables du réseau routier président à son développement, son amélioration, son maintien et son entretien. La fonction est donc historique et commune aux administrations routières de tous les pays.
Traditionnellement, pour assumer cette responsabilité, les équipes
de travail s’appuient sur des connaissances variées acquises par des
formations de base et continues, leurs expériences en matière de
techniques routières et l’observation du comportement du réseau
routier accumulée au cours des années. En fait, il s’agit d’observer les
défauts, d’en analyser les causes potentielles, de concevoir les solutions
les mieux adaptées en fonction des ressources disponibles et de réaliser
les travaux en s’assurant de leur qualité. Les observations subséquentes
du comportement de la route amène les responsables à porter des
jugements quant à l’efficacité des techniques employées ou des
moments d’intervention et permettent même de remettre en question
le diagnostic initial. L’information est souvent qualitative, l’approche
intuitive et les observations non systématiques et non structurées.
Alors, qu’est-ce qui a changé pour que les gestionnaires déploient tant
d’efforts pour l’implantation d’un système de gestion de chaussée?
D’abord, le réseau lui-même. Le réseau routier supérieur a été construit
ou reconstruit dans sa plus grande partie au cours des années 60 et 70.
Dans plusieurs cas, la chaussée approche de sa fin de durée de vie utile et
demande des interventions majeures. Ensuite, la demande en transport.
Entre 1984 et 2004, le nombre d’automobiles s’est accru de plus de 55 % et le nombre de kilomètres parcourus annuellement a bondi de plus de 102 %, tous véhicules confondus, et d’un exceptionnel 123 % pour
les poids lourds.
Or, la vitesse de dégradation d’une chaussée dépend non seulement
des conditions climatiques propres au site où elle est située, mais
aussi de la proportion de poids lourds qu’elle supporte. De plus,
un réseau mature est plus sensible, en ce qui a trait à la rapidité
de dégradation, aux changements de la circulation qu’un réseau
nouvellement mis en service.
Plus les facteurs d’influence des dégradations évoluent rapidement,
plus nous devons apprendre à réagir rapidement et plus nous devons
raffiner notre connaissance de l’état du réseau routier pour être en
mesure d’intervenir efficacement… et, surtout, anticiper correctement
les interventions.
Heureusement, les nouvelles technologies nous permettent de
relever ce défi de taille. C’est à cette tâche qu’un large groupe
multidisciplinaire s’est attaqué. Des critères de qualité d’un réseau
ont été définis. Ils sont ensuite mesurés grâce à des équipements
d’auscultation à haut rendement. La mesure de ces critères devient
de plus en plus indépendante du jugement humain. Ces données
une fois validées sont ensuite traitées par des outils sophistiqués
(progiciel). L’implantation d’un système de gestion de chaussée n’est
donc qu’une étape de la gestion de chaussée. Les enjeux sont dans
l’usage que nous ferons de ces nouvelles connaissances acquises
dans le seul but d’améliorer les services à l’usager en faisant un
usage optimal des budgets consacrés/affectés à la route.
Le processus
Le processus de gestion de chaussée est longtemps resté dans la
mémoire collective des gestionnaires de la route. Par la suite, il a été
structuré pour répondre à des impératifs de répartition budgétaire sur
des bases techniques reflétant les besoins d’intervention autres que
des données historiques de dépenses par catégories. Plus récemment,
on s’est attardé à officialiser le processus de gestion de chaussée en
tenant compte des besoins des usagers de la route et des capacités
qu’offrent les nouvelles technologies.
C’est dans ce contexte que deux niveaux ont donc été définis, soit le
niveau territorial et le niveau ministériel. Une direction territoriale a
effectivement besoin d’une connaissance pointue de l’état du réseau
routier d’un territoire géographique donné. Ces éléments doivent ensuite
être intégrés pour obtenir une image complète soit d’une direction
générale, soit de tout le territoire québécois.
L’objectif ultime du processus de gestion de chaussée est de livrer des
scénarios d’intervention optimaux pour un réseau routier donné. Nous
parlons ici de réseau routier, soit d’un ensemble de routes, et non d’un
projet routier. Cette particularité permet une ouverture vers une gestion
de nos interventions par itinéraires entraînant un intérêt de concertation
entre les directions territoriales ou entre les gestionnaires de réseau
routier. Le deuxième élément à retenir est la notion de scénario, que
nous cherchons à distinguer de celle de stratégie. Dans les notes qui
suivent, les scénarios représentent un produit du système de gestion et
sont basés presque exclusivement sur des données techniques recueillies
de façon constante sur l’ensemble du réseau existant.
Les stratégies, pour leur part, font intervenir d’autres paramètres comme
le développement socioéconomique d’une localité, la création d’un parc
industriel, l’installation d’industries lourdes, le développement touristique
ou, plus simplement, l’ordonnancement de travaux modifiant la mobilité
sur un itinéraire donné. Autant de facteurs qui viendront influencer les
décisions de gestion relativement au réseau.
Pour établir les scénarios optimaux, le gestionnaire peut fixer le budget
et le seuil de qualité à atteindre. À budget fixe et seuil de qualité
prédéterminé, le système détermine les secteurs où les interventions
sont le plus efficace techniquement et où les chances d’obtenir les
meilleurs résultats en ce qui a trait au rapport qualité-prix sont bonnes.
Le système permet également d’anticiper l’évolution de l’état du réseau
si les montants requis pour obtenir le seuil de qualité recherché ne
sont pas investis au bon moment ou au bon endroit. Les décisions des
gestionnaires se prendront donc sciemment, en toute connaissance de
cause et en prévoyant les répercussions à court, moyen et long terme.
Le processus de gestion de chaussée, niveau territorial, se subdivise en
quatre grandes fonctions : la collecte des données, la validation de ces
mêmes données, leur traitement et leur analyse. Pour chacune de ces
fonctions, une quantité importante de données de base sont requises.
Les responsables de la livraison de ces données sont multiples, ce qui
oblige chacun des intervenants à bien connaître son rôle et l’importance
de l’action qu’il mène.
La collecte des données sur l’état du réseau prend ici toute son ampleur.
Nous cherchons à obtenir une donnée juste, fiable et comparable d’une
direction territoriale à l’autre. Or, les équipements pour réaliser cette
campagne de collecte sont de plus en plus sophistiqués. Des données
erronées ne peuvent mener à des décisions éclairées et sont souvent plus
néfastes pour l’organisation que l’absence pure et simple de l’information.
D’où l’importance cruciale de cette étape.
La validation des données constitue une étape permettant d’intégrer
la connaissance qu’ont les gestionnaires du réseau routier dont ils
sont responsables. Ils sont en effet les plus aptes à vérifier les données
recueillies par des appareils technologiquement évolués mais fiables. La
détection des non-conformités et l’élimination de ces données assurent
le versement d’information plus juste dans les bases de données. Le
traitement des données et leur analyse subséquente sont réalisés grâce
à l’outil informatisé de gestion de chaussée. Le système prend en
considération la circulation, certaines données d’inventaire, les données
de segmentation du réseau, etc.
Les outils
Les données sur l’état à recueillir sur le réseau portent principalement
sur l’uni, l’orniérage et la fissuration. Au Québec, une particularité vient
modifier la collecte des données d’uni : l’hiver. En effet, le Ministère
relève des données sur l’uni d’été et les compare aux données d’hiver.
Ce paramètre permet effectivement de détecter les secteurs où les
phénomènes de gonflement différentiels au gel compromettent la
conduite et la sécurité des usagers.
L’acquisition d’un outil informatique de gestion de chaussée propre au
traitement des données recueillies est relativement récente au ministère
des Transports. Pourtant, des équipes s’affairent depuis déjà plusieurs
mois à évaluer, sélectionner, acquérir et adapter à notre réalité un
système de gestion de chaussée.
Pour anticiper le comportement d’un réseau routier, les experts
déterminent des modèles de dégradation basés sur les observations
réalisées dans le temps.
On conçoit facilement qu’il existe un décalage certain entre ce qui
peut être anticipé comme comportement et ce qui survient vraiment.
Pensons seulement à l’évolution de la circulation, des charges lourdes,
des conditions climatiques, etc. Autant de paramètres qui influencent
le comportement d’une chaussée dont le contrôle échappe souvent
aux gestionnaires.
À ces éléments il importe d’ajouter l’évolution des connaissances en
matière de comportement de chaussées. Les produits des recherches
entreprises/réalisées dans le cadre du programme américain SHRP ont déjà
modifié les approches en matière de matériaux de chaussée. Les matériaux
utilisés il y a 20 ans diffèrent largement de ceux d’aujourd’hui, parfois dans
leur composition, d’autres fois dans leur simple assemblage au sein d’une
chaussée. De plus, les nombreux suivis de performance réalisés dans le
cadre du programme SHRP ou mis en place par le Ministère font l’objet
d’analyses plus poussées. Ces données et analyses influencent aussi les
modèles d’analyse du comportement des chaussées dans le temps.
Aujourd’hui, nous connaissons mieux l’influence du gel sur les chaussées
et surtout l’impact des habitudes québécoises d’entretien hivernal.
Finalement, les suivis de performance réalisés au sein du Ministère
viennent ajuster les courbes de comportement à la réalité québécoise.
L’objectif recherché est d’établir des modèles le plus précis possible et
d’obtenir une vision bien ajustée des comportements potentiels d’une
chaussée – mais nous devons toujours prévoir un traitement statistique
par regroupement de familles de chaussées.
Conclusion
Toute la démarche en gestion de chaussée vise essentiellement à fournir
à l’usager et au citoyen le meilleur rendement qualité-prix pour le réseau
routier confié au Ministère.
Les outils d’auscultation nous permettent d’obtenir des données que
nous voulons fiables, justes et représentatives de la situation de l’état des
chaussées. Les outils informatiques incitent le gestionnaire à développer
une vision réseau pour l’ensemble d’un territoire donné et à prévoir
des interventions en itinéraires, minimisant ainsi les répercussions sur
l’usager de la route.
S’il faut rêver pour inventer, imaginons l’intégration des systèmes de
gestion de chaussée, de structure, d’exploitation et de sécurité pour
concevoir l’ensemble des interventions sur le réseau. Les usagers ne
verraient rien d’autre que le paysage qui les entoure!