La fissuration longitudinale des revêtements bitumineux de chaussées : détection par imagerie thermique des défauts lors de la pose des enrobés
Chaque année, le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports (MTMDET) prévoit la pose de plusieurs millions de tonnes d’enrobés bitumineux pour assurer l’entretien et le développement du réseau routier québécois. Des suivis de comportement ont indiqué que l’apparition prématurée de certains types de défaut en surface, suite à la pose d’enrobé, survenait régulièrement. Dès 2005, la technologie d’imagerie par infrarouge a permis d’établir des liens entre ces défauts et la signature thermique d’un tapis d’enrobé avant compactage [1]. Cette technologie a été implantée graduellement comme moyen de contrôle de la qualité de la mise en œuvre des enrobés. Des clauses techniques ainsi qu’une procédure de mesures en chantier sont appliquées dans plusieurs contrats du MTMDET depuis 2008. Le suivi de différents sites et des expertises particulières effectuées au cours des dernières années ont permis de démontrer davantage les effets des hétérogénéités de température de l’enrobé sur le comportement des revêtements. Les constats effectués mettent en évidence que le contrôle par thermographie est une méthode efficace et que la qualité de la mise en œuvre a des impacts directs sur les propriétés de l’enrobé.
Le présent article porte uniquement sur des expertises en lien avec le développement des fissures longitudinales et la ségrégation thermique longitudinale. Il s’agit des principaux constats tirés de diverses expertises réalisées au cours des dernières années.
Le comportement des revêtements
Au cours des années 90, les efforts déployés en recherche et développement au MTMDET ont permis des avancées importantes dans le dimensionnement des chaussées et le choix des matériaux. Malgré ces améliorations, des cas de contre-performances affectant le comportement des revêtements bitumineux ont été observés. L’apparition prématurée de fissures longitudinales et de zones d’arrachement, suite à divers types de travaux impliquant la pose d’enrobé, constituent les cas les plus fréquents. Les premières expertises sur ces cas indiquent que la formation de tels défauts serait attribuable aux conditions de mise en œuvre. La présence de ségrégation et le développement de fissures en surface favorisent l’infiltration d’eau et de saumure dans les fondations. Le revêtement et les matériaux de fondations qui en sont affectés distribuent moins bien les efforts transmis lors du passage des véhicules, ce qui contribuent à accélérer les divers mécanismes de dégradation de la chaussée. Ainsi, l’apparition prématurée de tels défauts se traduit par une diminution du niveau de service et de la durée de vie escomptée. Des interventions préventives (scellement de fissures) et le devancement de travaux de réhabilitation (resurfaçages et reconstructions) sont ainsi nécessaires, ce qui occasionne des coûts additionnels.
Utilisation de la méthode de contrôle par thermographie
La méthode par thermographie a été élaborée suite à une étude en chantier en 2005. La validation de la méthode de contrôle en 2006 a mené à la réalisation des premiers projets pilotes en 2007. Trois critères thermiques ont été établis considérant les liens entre les signatures thermiques et les dégradations apparaissant prématurément suite aux travaux. Ces critères visent à couvrir les principaux problèmes retrouvés au Québec qui sont reliés à la mise en œuvre des enrobés [2, 3]. Le devis-type « homogénéité de pose des enrobés » [4] comprend la vérification de ces trois critères qui sont : la température minimale des zones les plus froides, la température maximale visant à identifier les cas de surchauffe lors de la fabrication, et la ségrégation thermique longitudinale (STL). L’implantation de cette méthode de contrôle a aussi favorisé l’utilisation d’un nouvel équipement permettant d’améliorer l’homogénéité de la température de l’enrobé lors de la pose, soit le véhicule de transfert de matériaux (VTM). La figure 1 (voir image ci-dessus) montre le nombre de contrats effectués et le tonnage d’enrobé posé ces dernières années impliquant ces technologies. À titre indicatif, en 2017, près de 1,4 million de tonnes ont fait l’objet d’un contrôle par thermographie, soit environ 63 % du tonnage d’enrobé posé pour le MTMDET.
Étude de cas : resurfaçages
Le MTMDET prévoit le contrôle par thermographie sur divers types de travaux impliquant la pose d’enrobé, soit lors de constructions neuves, de reconstructions et de resurfaçage. Ce dernier type d’intervention a été le plus fréquent ces dernières années représentant, en moyenne, 75 % des travaux (en longueur) par rapport à l’ensemble des interventions.
L’apparition de fissures 4 à 5 ans après des travaux de resurfaçage sur des contrats a fait l’objet d’expertises spécifiques. Les échantillons prélevés par carottage visaient à expliquer l’origine de ces dégradations, et ainsi déterminer si les fissures étaient associées à de la STL ou provenaient de la remontée de fissuration présente sur l’ancien revêtement sous-jacent. La figure 2 illustre un exemple des phénomènes de traînées thermiques qui ont été constatés lors des travaux. Il est en effet possible d’y relever des traînées qui correspondent à la définition de la STL avec des écarts thermiques d’au moins 5 °C.
L’ensemble des images thermiques ont été mises en parallèle avec l’emplacement des fissures sur la chaussée alors que les échantillons d’enrobés prélevés (carottes) ont permis de déterminer la profondeur des fissures. La figure 3 montre (a) l’état du revêtement avant travaux, (b) une image présentant de la STL lors de la pose de l’enrobé en surface à cet emplacement, (c) de la fissuration présente dans le revêtement aux mêmes endroits 6 ans après la pose ainsi que (d) des carottes prélevées au droit des fissures.
Le fait que l’état de la surface avant travaux ne montre aucune fissuration longitudinale, et que la fissure n’est présente que dans la couche de surface démontre qu’il existe un lien entre les traînées thermiques (STL) détectées dans des axes particuliers et les fissures (position et alignement). Le carottage au droit des fissures longitudinales indique que la dégradation provient principalement de la surface. Tel qu’il a pu être observé sur certaines carottes, le mécanisme menant à l’apparition de cette fissuration en surface tend à favoriser son allongement et sa propagation vers les couches sous-jacentes. La remontée des anciennes fissures sous-jacentes est un phénomène bien connu et documenté [5]. Sur la base des observations de cette étude, ce phénomène n’est pas prédominant pour expliquer l’apparition des fissures longitudinales lorsqu’il y a des traînées thermiques au moment de la pose de l’enrobé. Par contre, les deux phénomènes menant à l’apparition de ce type de fissures peuvent se produire simultanément comme l’ont démontré des carottes prélevées à certains endroits.
Les traînées thermiques détectées lors de la pose de l’enrobé correspondent à des discontinuités bien définies dans le tapis d’enrobé; celles-ci ne peuvent être décelées par les autres essais de contrôle usuels en chantier. La présence de ces plans de discontinuités favorise la formation de fissures longitudinales et contribue ainsi à réduire la performance d’un recouvrement, et même des recouvrements ultérieurs, compte tenu de la possibilité de remontée des fissures.
Étude de cas : constructions neuves
Au cours des dernières années, d’importants investissements ont été consacrés par le MTMDET au développement du réseau routier et ont donné lieu à la construction de nouveaux tronçons d’autoroutes. La majorité des nouveaux revêtements a fait l’objet d’un contrôle par thermographie afin d’évaluer l’homogénéité de pose.
Quelques années après la mise en service de certains segments de route, la présence de défauts et de fissurations prématurées a été observée. Des expertises ont été menées sur certains cas où la problématique de fissuration longitudinale observée pouvait être liée à de la ségrégation et à la présence de traînées thermique (STL). Des prélèvements d’échantillons par carottage, des analyses des caractéristiques de l’enrobé, des essais mécaniques sur des éprouvettes ainsi que des analyses par tomodensitométrie (ctscan.ete.inrs.ca) ont donc été réalisés dans le but de déterminer la cause des dégradations et de caractériser la ségrégation dans l’enrobé.
La figure 4 montre (a) une image thermique qui comporte deux axes répondant aux critères d’une STL, (b) de la fissuration longitudinale présente dans le revêtement dans des axes de ségrégation, (c) des carottes prélevées dans l’axe de ségrégation et en dehors de l’axe ainsi que (d) des résultats d’essais de résistance en traction.
L’enrobé situé dans l’axe de la ségrégation présente généralement des résultats d’analyses granulométriques différents avec une quantité un peu plus grande de gros granulats. Il comporte aussi 1 à 2 % de plus de vides par rapport à l’enrobé « hors axe ». Les propriétés mécaniques des matériaux situés dans l’axe de ségrégation sont toutefois affectées de façon significative; la résistance en traction peut être diminuée de 15 à 40 % par rapport à l’enrobé adjacent (hors axe).
La tomodensitométrie permet de visualiser la répartition des granulats et des vides à l’intérieur des carottes d’enrobé. Ainsi, comme le présente la figure 5, une couche d’enrobé dans l’axe propice à la fissuration ne comporte pas nécessairement de la ségrégation sur la pleine épaisseur. Dans cet exemple, le bas de la couche supérieure, située juste au-dessus de l’interface, comporte davantage de granulats plus grossiers et de vides. Les vides peuvent atteindre, dans de tels cas, une proportion de près de 25 % alors que pour une couche uniforme, ils sont présents dans une proportion de tout au plus 7 %, tel que le prescrit les exigences du MTMDET.
Ces expertises ont permis d’établir qu’il y avait une correspondance entre la localisation des fissures et la localisation des lots dans lesquels de la STL a été détectée lors de la pose. Les essais usuels de contrôle en laboratoire ont confirmé, quant à eux, que la distribution granulométrique, le pourcentage de bitume et le pourcentage de vides de l’enrobé ont tendance à être marginaux dans l’axe de la ségrégation.
Les essais par tomodensimétrie ont toutefois démontré plus clairement que dans l’axe de ségrégation, la porosité (concentration de vides) dans l’enrobé est localement plus élevée, ce qui affecte ses propriétés mécaniques, notamment le module de rigidité et la résistance en traction. C’est en raison de la répartition des vides dans l’enrobé, orientée selon un alignement ou un plan bien défini, que les propriétés mécaniques du revêtement sont réduites. En plus de présenter une rigidité plus faible, l’enrobé démontre, dans ces axes de ségrégation, une moins grande résistance à la traction. En fait, cette discontinuité agit comme un plan de faiblesse quasi continu sur la chaussée, favorisant la formation d’une fissure longitudinale lorsqu’il est soumis aux contraintes transversales que subit le revêtement par retrait thermique. Ces plans de faiblesses s’avèrent difficiles à détecter aussi bien visuellement lors des travaux, qu’avec les méthodes de mesures et d’analyses usuelles. La signature thermique particulière dénote clairement que, sur une faible largeur dans des axes spécifiques rectilignes longitudinaux, l’état de l’enrobé, lors de son épandage, est différent par rapport à celui de l’enrobé adjacent. Selon le type de finisseuse qui est utilisée, l’emplacement de ces axes préférentiels correspondent soit au centre de l’équipement sous la boîte d’engrenage des vis de répartition, aux limites externes des convoyeurs ou du châssis, ou encore aux supports des vis de répartition.
Conclusion
Les cas étudiés indiquent que l’utilisation de la thermographie à des fins de contrôle de différents types de travaux, notamment lors de resurfaçages, s’avère une approche efficace et fiable pour détecter, dans le tapis d’enrobé, des hétérogénéités menant à l’apparition prématurée de fissures longitudinales. Les résultats obtenus démontrent un lien sans équivoque entre la présence de ségrégation thermique longitudinale (STL) identifiée par thermographie, et l’apparition de la fissuration longitudinale. Les mécanismes menant au développement de la fissure sont étroitement liés à la présence d’un plan de faiblesse; une discontinuité bien définie et rectiligne affectant les propriétés mécaniques des enrobés. Les résultats d’essais indiquent que lorsqu’il est soumis à des conditions climatiques sévères et à d’importants écarts thermiques, l’enrobé situé dans l’axe de ségrégation offre une moindre résistance aux contraintes que subit le revêtement, ce qui favorise le développement d’une fissure.
Les constats tirés de ces études de même que l’expérience acquise depuis la mise en application du contrôle par thermographie permettent d’apprécier le bien-fondé de la méthode. La thermographie s’avère un moyen de contrôle efficace, indicateur de la qualité de pose des enrobés. Elle constitue une pratique reconnue par le MTMDET et qui contribue à améliorer le comportement des revêtements. Cette méthode permet également, d’évaluer l’efficacité des ajustements et des améliorations apportés aux équipements et aux méthodes de travail reliés à la pose des enrobés.
Références
[1] Lavoie M., 2005, Utilisation de la thermographie pour la pose des enrobés, Ministère des Transports du Québec, Info DLC, vol. 10, no 11, novembre 2005.
[2] Lavoie M., 2007, Utilisation de la thermographie pour le contrôle de la qualité de mise en œuvre des enrobés, Association québécoise du transport et des routes, revue Routes & Transports, vol. 36, no 1, printemps 2007, pp. 10-12.
[3] Lavoie M., 2007, Using Infrared Technology for Quality Control During Asphalt Placement, Canadian Technical Asphalt Association, 52nd Annual Congress, vol. LII, Nov. 2007, Niagara Falls, Ontario, pp. 87-111.
[4] MTMDET, 2012, Devis-type “Évaluation de l’homogénéité de pose des enrobés préparés et poses à chaud”, 13 pages.
[5] St-Laurent, D. et G. Bergeron, 2000, Interventions pour réduire la fissuration des chaussées, 4e conférence internationale et exposition de la RILEM, Ottawa, mars 2000, 11 pages.