Exploiter les potentialités des Systèmes de Transport Intelligents Collaboratifs (C-ITS) pour sécuriser les passages à niveau
La question de la sécurisation des passages à niveau est centrale pour la SNCF, à la fois parce que les accidents routiers qui y surviennent génèrent des coûts importants et parce qu’ils impactent l’image de l’entreprise. Pour autant, trouver des solutions concrètes pour sécuriser les passages à niveau est complexe, notamment en raison de la multiplicité des acteurs intervenant dans le système : SNCF Mobilité pour les trains, SNCF Réseau pour les infrastructures ferroviaires, ministère de l’Écologie, des Transports et du Développement durable pour les infrastructures routières et ministère de l’Intérieur pour les questions de sécurité routière.
Avant de présenter le projet de transformation d’un passage à niveau en un carrefour communiquant avec l’environnement et avec les véhicules connectés, nous ferons une analyse statistique des accidents aux passages à niveau. Cette analyse nous permettra d’identifier les facteurs d’accidentologie spécifiques aux passages à niveau.
Le projet de transformation d’un passage à niveau en un carrefour communiquant est porté par la direction innovation et Recherche de la SNCF. Il implique également de mesurer l’impact des messages reçus par les conducteurs sur leurs comportements de conduite aux abords des passages à niveau.
Les accidents aux passages à niveau et leurs spécificités
Le passage à niveau est un croisement à niveau d’une voie ferrée et d’une voie routière. Celui-ci coupe ponctuellement la circulation routière pour laisser la priorité à la circulation sur la voie ferrée. En tant que lieu de conflit potentiel entre deux flux de circulation, il est un lieu où l’accident peut se produire. Les accidents de passages à niveau représentent à ce titre la 2e cause d’accidents ferroviaires (hors suicide).
En France, l’infrastructure gérée par SNCF Réseau comptabilise plus de 15 000 passages à niveau sur lignes exploitées. Ces passages à niveau sont répartis en 4 catégories au sens de l’arrêté ministériel du 18 mars 1991[i]. Les passages à niveau de la 1re catégorie, automatiques SAL 2 (feux et 2 demi-barrières), SAL 4 (feux et 4 demi-barrières) et les passages à niveau gardés qui sont les plus nombreux (11 000). Environ 60 % des collisions surviennent sur des passages à niveau SAL 2 où les fréquentations en termes de trafic ferroviaire et routier sont plus denses.
Après une baisse de 50 % du nombre d’accidents entre 1990 et 2004, les statistiques montrent que ce nombre est depuis demeuré stable ou, tout au moins, qu’il a subi des fluctuations qui font en sorte que le nombre de collisions est compris chaque année entre 100 et 140 et que le nombre de décès est compris entre 25 et 40 (hors suicides).
Il est admis que 99 % des accidents sont dus aux facteurs humains, avec trois types de facteurs principaux en cas de heurt entre un train et un véhicule ou un piéton :
- La délinquance (passage en chicane, non-respect de la signalisation routière, remontée de file, vitesse excessive, alcool…).
- L’erreur de conduite (engagement du gabarit, confusion entre la chaussée et la voie ferrée, l’éblouissement par le soleil, perte de contrôle du véhicule, manœuvre sur le passage à niveau, panne sur le passage à niveau…).
- La distraction et l’inattention.
Une analyse réalisée sur la base des 100 passages à niveau les plus accidentogènes (entre 1990 et 2014) a permis de déterminer que :
- 40 % des accidents surviennent sur des routes en ligne droite avec un angle de 90 ° et une bonne visibilité;
- la connaissance du trafic ferroviaire (horaires des trains, nombre de trains, grève...) est un élément potentiellement perturbant par rapport aux jugements aussi bien piétons que routiers et exacerbe souvent les risques;
- certaines configurations routières déjà connues sous le nom de routes en S, courbes ou carrefours complexes se révèlent problématiques;
- la vitesse excessive est un élément de déclenchement relativement fréquent des accidents à l’approche des passages à niveau.
Nous observons que les caractéristiques des accidents aux passages à niveau ne sont pas différentes des caractéristiques générales des accidents de la route. Toutefois, l’élément qui est singulièrement différent des autres accidents routiers est leur gravité. Une collision avec un train est très rarement anodine, elle est mortelle dans près de 30 % des cas. Ce pourcentage de décès par collision est largement plus élevé que celui des accidents de la route en général[ii]. Cela démontre qu’il est nécessaire de travailler sur les comportements des conducteurs et la sécurité active[iii][iv], sachant que les améliorations en termes de sécurité passive ou palliative[v] n’auront que peu d’effets.
Dans ce cadre, trois axes d’améliorations de la sécurité ont été définis et méritent d’être explorés en priorité, à savoir la visibilité, la lisibilité du passage à niveau et la perception des risques dans l’environnement singulier du passage à niveau.
Les contributions et projets de la SNCF liés à la sécurisation des passages à niveau
En collaboration avec les ministères de l’Écologie, des Transports et du Développement durable, le département de la sécurité routière du ministère de l’Intérieur et les différentes collectivités locales, la SNCF œuvre à améliorer la sécurité aux passages à niveau au travers de différents programmes de sécurisation et de prévention.
L’avènement de nouveaux systèmes de transports intelligents connectés (C-ITS), notamment avec l’arrivée des véhicules connectés, offre de nouvelles solutions pour sécuriser les routes. Ces solutions sont d’autant plus intéressantes, que le nombre de véhicules connectés, en fonction des différentes projections, croîtra fortement à partir de 2025.
À l’échelle européenne, différents projets tels qu’Intercor ou C Roads sont en cours de réalisation par les États membres et les opérateurs routiers, visant ainsi à tester et à mettre en œuvre des services C-ITS de communication. Les messages échangés sont bidirectionnels entre les véhicules connectés et les véhicules et l’infrastructure en ITS-G5 (wifi 802.11p) sur la bande de fréquence 5,9 GHz. L’un des objectifs de ces projets est d’aboutir à une harmonisation et à une interopérabilité transfrontalière.
Le passage à niveau est un croisement de la route et du chemin de fer. La SNCF étudie les solutions technologiques qui permettraient de faire évoluer le passage à niveau et de le rendre plus sécuritaire. L’un des axes de sécurisation passera sans aucun doute par l’interaction entre le passage à niveau, le véhicule connecté et le conducteur routier. À ce titre, depuis 2017, la direction Innovation et Recherche de la SNCF travaille sur un projet de transformation du passage à niveau en carrefour communiquant avec son environnement, entre autres avec les véhicules connectés. L’enjeu pour la SNCF est de sécuriser les passages à niveau par le biais de technologies issues des Systèmes de Transports Intelligents Collaboratifs.
Un prototype conçu en partenariat avec un équipementier automobile a permis, en novembre 2018, de faire une démonstration de faisabilité de communication entre un passage à niveau et un véhicule connecté. Des développements complémentaires sont prévus en 2019 afin d’aboutir à une solution intégrable avec toutes les assurances en matière de disponibilité, de fiabilité et de maintenabilité.
L’impact sur le comportement routier
Au-delà des aspects techniques du dispositif, la SNCF souhaite mesurer l’efficacité qu’ont les messages reçus dans l’habitacle du véhicule sur les comportements des conducteurs. Cette mesure passe par la mise en œuvre d’un dispositif expérimental spécifique.
Dans cette optique, la SNCF a mis en place un partenariat avec l’École de Conduite Française (ECF) afin de développer des scénarii d’approche de passage à niveau incluant les messages reçus dans l’habitacle tels que l’arrivée d’un train, l’affichage d’un avis de prudence ou d’un possible dysfonctionnement du système, mais aussi l’absence de réception du message dans l’habitacle.
Ces scénarios, basés sur une analyse cognitive de la tâche de conduite à l’approche de différents passages à niveau, servent actuellement de matériaux à la modélisation sur simulateur de conduite des différentes situations d’expérimentation. Il est à noter que le simulateur de conduite sera équipé de différents capteurs : monitorage oculaire (eye tracking), mesure du stress, observation du mouvement des pieds sur les pédales de frein et d’accélération et une caméra pour observer le mouvement des mains sur le volant.
Une phase de prétest sera réalisée à partir de février 2019 sur un panel d’environ dix sujets afin de vérifier la pertinence du dispositif expérimental et, au besoin, d’effectuer des ajustements.
À partir du mois de mars 2019, une trentaine de sujets représentatifs des conducteurs routiers seront placés devant différentes situations.
Les observations qui seront faites, renforcées par des entretiens semi-directifs, permettront d’analyser les comportements des conducteurs à l’approche des passages à niveau en ce qui a trait à leur capacité à percevoir, à lire et à interpréter l’environnement. Il sera ainsi possible de vérifier l’hypothèse selon laquelle les messages reçus dans l’habitacle, en complément de la signalisation routière et de l’équipement des passages à niveau, peuvent modifier de manière positive les comportements des conducteurs.
Les résultats de cette expérimentation sont attendus pour le troisième trimestre 2019.
La mobilité est aujourd’hui un impératif de développement de l’offre pour tout gestionnaire d’infrastructure (projet de loi d’orientation des Mobilités en cours). Les projets sur les passages à niveau, à l’intersection des flux routiers et ferroviaires, témoignent de la volonté de la SNCF de créer des offres de mobilités pérennes et sûres pour l’ensemble des usagers. La construction d’une interface reliant le routier et le ferroviaire et mise au service de l’humain est à ce titre un exemple de l’implication de la SNCF visant une mobilité plus sûre pour l’ensemble des usagers.
[i] Arrêté relatif au classement, à la réglementation et à l’équipement des passages à niveau
[ii] Il y aurait donc environ 150 accidents corporels et 8 accidents mortels pour 10 000 accidents matériels
En savoir plus : https://www.securite-routiere-az.fr/a/accident-materiel/
[iv] La sécurité active concerne l’ensemble des éléments permettant d’éviter l’accident.
[v] La sécurité passive, ou plus justement la sécurité palliative est composée de l’ensemble des éléments qui, par leur présence ou leur fonctionnement, peuvent minimiser la gravité d’un accident.