Évolution de la thermographie appliquée à la pose des enrobés
Depuis 2008, certains contrats du ministère des Transports du Québec (MTQ) prévoient des spécifications techniques faisant appel à un contrôle en chantier à l’aide de la thermographie infrarouge pour couvrir les problématiques potentielles associées à la mise en oeuvre des revêtements bitumineux1. La méthode de contrôle actuelle consiste en la prise d’images thermiques de manière ponctuelle à l’arrière du finisseur sur l’enrobé non compacté (figure 1). Les images prises manuellement par un technicien à l’aide d’une caméra infrarouge permettent de constater des variations de température sur la surface d’un enrobé (zones froides, zones chaudes et traînées thermiques).
La thermographie appliquée au contrôle de la qualité de pose des enrobés
Une procédure comportant l’utilisation de la thermographie comme moyen de contrôle a été mise à l’essai à titre de projet pilote en 2007 au MTQ et elle est, depuis 2008, intégrée dans des contrats de pose d’enrobé bitumineux d’importance. L’objectif de l’utilisation d’un devis portant sur l’homogénéité de pose est de s’assurer que la pose des enrobés se fait avec le plus d’uniformité possible et d’éviter les phénomènes de ségrégation thermique, sources potentielles de défauts prématurés des revêtements. Le devis d’homogénéité de pose du MTQ est articulé essentiellement autour de trois critères précis : la température minimale, la température maximale et la ségrégation thermique longitudinale (STL). Le premier a pour but de vérifier s’il n’y a pas de variations de température et présence de zones froides critiques pour le compactage de l’enrobé. Le deuxième permet de vérifier si la température n’est pas trop élevée lors de la production pour éviter les risques de surchauffe des enrobés. Le dernier sert à inciter les entrepreneurs à procéder à des ajustements d’équipements ou à des adaptations aux méthodes d’opération qui permettent d’éviter les traînées de ségrégation thermiques (figure 2). Ce défaut très répandu représente une zone de faiblesse lorsque l’enrobé est soumis à des efforts de tension, notamment lors de la contraction thermique du revêtement. La conséquence d’un tel défaut se traduit à court ou moyen terme par la création de fissures longitudinales.
Évolution de l’application
L’utilisation de cette approche de contrôle est en constante augmentation depuis la mise en oeuvre d’un plan d’action. La figure 3 montre la croissance du nombre de contrats effectués ces dernières années et le total des tonnes d’enrobé posées correspondant à ces contrats. Avec plus de 1,1 million de tonnes, c’est un peu plus de 25 % du tonnage d’enrobé posé pour le MTQ qui a fait l’objet d’un contrôle par thermographie en 2010.
Depuis l’application de spécifications impliquant des mesures par thermographie, des améliorations significatives de la qualité de la mise en oeuvre des enrobés sont observables. L’homogénéité de pose est très souvent obtenue, surtout avec l’utilisation des véhicules de transfert de matériaux (VTM). Cependant, on note que la problématique liée à la STL est encore présente sur plusieurs chantiers.
Système de thermographie automatisée
Un projet de développement a été entrepris en 2009 afin d’évaluer le potentiel d’un système permettant le suivi en continu et l’automatisation du contrôle par thermographie. Le système qui comprend un scanneur infrarouge a été amélioré en 2010 avec l’intégration d’un encodeur de distance fixé sur un moyeu du finisseur (figure 4), d’un GPS, d’une base de données géocodée et d’un logiciel d’acquisition et de monitoring des données. Le scanneur linéaire employé est un Raytek® MP150. Il consiste en un détecteur infrarouge dont les mesures sont multipliées grâce à un système de miroirs en rotation activé par un moteur. Un balayage à une fréquence de 20 Hz est approprié pour l’application.
Un support métallique permet de monter le scanneur sur le finisseur afin qu’il surplombe la bande d’enrobé à l’arrière de la table (figure 5). Sa position permet d’éviter d’intercepter les ouvriers qui circulent près du finisseur alors que la tête peut pivoter afin de mieux ajuster la distance, évitant également que le passage des rouleaux compacteurs n’interfère dans les mesures.
L’angle de balayage peut être fixé à 45° ou à 90° et il est possible d’obtenir jusqu’à 672 données de température par ligne transversale à environ trois mètres à l’arrière du finisseur. La résolution graphique des résultats est similaire à ce que peuvent fournir les caméras à infrarouge. La hauteur, le positionnement vers l’arrière et l’angle du scanneur sont ajustables au niveau du support pour s’adapter aux différents modèles de finisseurs et à la largeur de la bande d’enrobé auscultée. En optant pour un angle de balayage à 90°, il est possible de prendre des mesures sur la quasi-totalité d’une bande de 8,5 m de largeur (figure 6).
Le système d’acquisition est contenu dans une valise de transport. Elle comprend le GPS, qui peut être installé de façon plus précise sur le finisseur, un système d’alimentation électrique, des circuits électroniques et un ordinateur portable permettant l’acquisition des données (figure 7). L’acquisition a été configurée de manière à prendre les informations du scanneur et les données de positionnement à chaque fois que le finisseur avance de 20 mm. Un logiciel présente une interface qui affiche le défilement des données (profils de température) au fur et à mesure de leur acquisition (figure 8). La programmation actuelle a été faite de manière à afficher également certaines valeurs de température, des alarmes ainsi que des informations sur la distance parcourue, la localisation par rapport au système de repérage du réseau routier du MTQ et la vitesse d’avancement. L’interface permet d’ajuster la plage d’affichage de la température et de déterminer des secteurs d’analyse durant la prise de mesures.
Exploitation de la thermographie automatisée
Le système d’acquisition comprenant l’écran peut être placé sur le dessus des finisseurs près du panneau de contrôle de l’opérateur ou à un endroit accessible aux contremaîtres. L’interface affiche en temps réel les profils de température à une distance fixe par rapport au finisseur, ce qui permet d’informer rapidement les opérateurs des finisseurs de l’évolution des résultats lors de la pose.
Le monitoring se fait principalement en établissant les critères de contrôle (figure 8). Les alarmes utilisant des codes de couleurs (rouge, jaune et vert) permettent de voir si les limites de température sont dépassées, près de l’être ou non. Ce volet de contrôle a été conçu en regard des critères de la méthode de contrôle actuelle. Il est possible de définir des limites de deux secteurs d’analyse pour la vérification des températures minimales et maximales ou pour détecter la présence d’une traînée thermique ou d’une zone présentant un différentiel de température.
Ce système permet de voir les effets des méthodes de pose sur la répartition de la température sur le tapis d’enrobé. Une autre application a également été développée par le MTQ afin de relire les enregistrements et de réaliser des analyses de température ou d’obtenir de l’information plus précise sur la localisation, la longueur et l’étendue de phénomènes. Dans l’exemple de la figure 9, on peut distinguer des phénomènes de traînées thermiques continues principalement associées à une mauvaise répartition de l’enrobé au niveau de la table des finisseurs, en raison de mauvais ajustements ou de méthodes d’opération inappropriées, ou les deux. Cette signature thermique sur le tapis d’enrobé avant compactage est attribuable à la présence de ségrégation de granulats ou à une insuffisance de mélange (différence de densité) ou à la combinaison des deux phénomènes. Dans ce cas, on peut se servir de profils (ou segments linéaires) pour voir la variation de température transversalement, comme on le fait avec la méthode de contrôle actuelle. Des points de température peuvent être affichés afin de confirmer les valeurs.
Dans l’exemple de la figure 10, on distingue des phénomènes de zones froides causés par des effets de changements de camions (plaques dans la partie centrale du graphique) et des arrêts de finisseurs (zone froide sur la pleine largeur de la bande d’enrobé dans la moitié supérieure du graphique). Dans ce cas, on peut se servir de boîtes d’analyses pour obtenir des informations telles que la température minimale, la température maximale ou la moyenne des températures dans des zones précises. Il est possible d’afficher les valeurs comme telles.
Alors que le système d’acquisition permet de voir en temps réel et de procéder rapidement aux ajustements, la consultation des enregistrements, quant à elle, permet d’avoir un aperçu plus général sur la pose. Elle permet de comparer les résultats d’une journée à l’autre ou d’un contexte à l’autre. Les enregistrements donnent la possibilité de savoir à partir de quand ou à quels endroits sont apparus certains phénomènes et de faire la relation avec la production, la livraison ou le contexte de pose. Avec le système de localisation, il est toujours possible d’expliquer des problèmes de compactage ou des variations de texture sur le revêtement.
Le système en soi constitue un excellent outil d’autocontrôle pour les entrepreneurs et est une meilleure façon de connaître globalement la performance quant à l’homogénéité de pose des enrobés. Plusieurs essais pourraient être envisagés par les entrepreneurs afin de mieux comprendre et d’améliorer la pose des enrobés. Plus précisément, on peut tenter d’étudier les effets de la quantité de matériaux dans les trémies, de la vitesse d’avancement, des ajustements de la hauteur des vis, de l’utilisation des extensions de table, etc. Dans un deuxième ordre, il serait intéressant de vérifier la performance de chacun des finisseurs et de définir les limites d’utilisation des différents modèles. Avec ce genre d’outil, les fabricants pourraient mieux analyser la performance des équipements et proposer, par exemple, des solutions mécaniques aux finisseurs ou concevoir de nouveaux modèles plus performants qui ne sont pas sujets à créer de la ségrégation thermique longitudinale.
Du côté du MTQ, même si le système est fonctionnel, on envisage d’y apporter d’autres améliorations. Les travaux pourraient être axés principalement sur l’amélioration de l’affichage en créant d’autres modules visuels plus pratiques pour les opérateurs ou les contremaîtres, comprenant des signaux d’alarme davantage mis en évidence. Le logiciel d’analyse pourrait également être amélioré et ajusté selon les besoins.
Compte tenu du fait que le système de thermographie automatisée permet d’obtenir des données de température localisées qui peuvent couvrir toute la distance parcourue lors de la pose, il est projeté de l’utiliser pour réaliser des études plus particulières sur différents types d’enrobé tels que les enrobés tièdes.
Conclusion
La thermographie est bien implantée dans la pratique courante au MTQ depuis quelques années. Elle permet de s’assurer d’une qualité de pose des enrobés d’un niveau supérieur.
Par un nouveau procédé d’automatisation, la thermographie est exploitée sous une forme plus efficace et interactive, ce qui devrait davantage contribuer à l’amélioration de la mise en oeuvre des enrobés. Un tel système offre un fort potentiel pour le suivi en continu en permettant l’affichage en temps réel, le monitoring, la localisation et l’enregistrement des données. L’usage principal demeure un outil d’autocontrôle afin de permettre aux entrepreneurs de maintenir un niveau d’homogénéité de pose acceptable et de remédier à l’apparition des traînées thermiques, phénomène qui mérite d’être mieux maîtrisé.
Le MTQ entend continuer à expérimenter ce système pour établir l’implantation d’une telle approche sur une base plus courante. De plus, la collecte de données pourra également permettre de réaliser différentes études.
Référence
1-LAVOIE, Martin. « Utilisation de la thermographie pour le contrôle de la qualité de mise en oeuvre des enrobés », Routes & Transports, Association québécoise du transport et des routes, vol. 36, no 1, printemps 2007.