Étude pilote pour le traitement du ruissellement routier par écoprocédés
1. Problématique
Au Québec et partout au Canada, le climat froid et l’abondante neige entre novembre et mars forcent nos gouvernements à assurer des conditions de conduite sécuritaire par l’utilisation de sels de déglaçage sur l’ensemble du réseau routier. Ces sels incluent des complexes de chlorure de sodium, de calcium, de magnésium et de potassium, et parfois du ferrocyanure (agent anti floculant). Des matières abrasives sont employées lors des tempêtes de neige ou des événements de pluie verglaçante et incluent des mélanges gravier-sable [1]. Le Canada emploie plus de sels de déglaçage que d’autres pays nordiques, soit environ 5 millions de tonnes par an (données de 1997-1998). Les provinces utilisant le plus de sel sont le Québec et l’Ontario (90 tonnes/km de chaussée par an, à un coût de 500 $/km). De 1995 à 1999, Environnement Canada (EC) a conduit une étude scientifique exhaustive et produit un rapport détaillé [2] concluant sur les impacts néfastes des sels de déglaçage sur les écosystèmes d’eau douce, les sols, la flore et faune, et exprimant le besoin urgent d’une meilleure gestion des produits d’entretien routier hivernal. EC a inclus depuis les sels de déglaçage dans sa liste des substances toxiques prioritaires. De plus, ces impacts négatifs sur l’environnement ont une portée à long terme en ce qui concerne leur gravité [1, 3, 4, 5, 6, 7, 8] : 1) augmentation des concentrations en sel des eaux souterraines et diminution du nombre de sources en eau potable disponibles; 2) augmentation de la concentration de matières en suspension, de nutriments et de sel dans les eaux fluviales, les lacs, les étangs et les réservoirs; 3) mobilisation des éléments métalliques traces (EMT) tels Pb, Ni, Cd à partir des sols et des sédiments; 4) toxicité pour les organismes benthiques et édaphiques due aux sels, réduisant la biodiversité; 5) diminution de la reproduction des poissons; 6) effets synergiques qui aggravent les problèmes d’eutrophisation des lacs; et 7) réduction des usages récréatifs de l’eau. Au Québec, où les niveaux naturels de la salinité sont inférieurs à 10 mg/L, les eaux souterraines et de nombreux lacs montrent des concentrations entre 20 et 1 000 mg/L. Les fossés des routes québécoises ont des salinités de 500 à 20 000 mg/L, avec des valeurs maximales mesurées au début du printemps, quand les bancs de neige contaminée fondent [4, 8]. Ces impacts sont plus importants dans les lacs, les étangs et les marais, que dans les fleuves et les rivières, en raison de leur faible taux de renouvellement d’eau. Que ce soit en tant qu’héritage patrimonial, que ressource économique et récréative d’importance pour le Québec ou pour les services écologiques qu’ils rendent, ces écosystèmes doivent être conservés et protégés. Selon plusieurs études, des niveaux plus élevés que la teneur naturelle de salinité ont été mesurés dans de nombreux plans d’eau du sud du Canada. Au Québec, le ministère des Transports du Québec [9] a adopté une politique environnementale qui inclut la révision et l’étude des dosages de sels reliés aux conditions climatiques. Néanmoins, en raison du climat nordique de la province, les sels de déglaçage continueront d’être utilisés dans le futur. Ainsi, tout bon plan de gestion des ressources hydriques doit : 1) adopter des mesures de réduction à la source; 2) suivre une véritable gestion intégrée par bassin versant en tenant compte des régimes tant superficiels qu’hydrogéologiques; 3) contrôler et traiter la pollution en utilisant des technologies vertes (éco procédés ou écogénie).
2. Description du projet
Afin de remédier à la problématique présentée ci-dessus, une équipe de recherche de l’Université Laval a développé et appliqué deux éco-procédés dans une chaîne de traitement qui élimine les impacts environnementaux des sels de déglaçage sur les écosystèmes aquatique et terrestre. Le système de traitement proposé est composé : 1) d’un lit filtrant réactif (LFR) et 2) d’un marais épurateur construit et adapté (MECA). Les procédés proposés sont techniquement, économiquement et écologiquement performants comme le démontrent les données des études préalables (labo et semi pilote) financées par le CRSNG en partenariat avec le ministère des Transports du Québec, le Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec du ministère de l’Environnement du Québec (CEAEQ-MDDEP), la Ville de Québec et la Ville de Saint-Augustinde- Desmaures.
3. Site à l’étude, matériels et méthodes
Les buts de ce projet étaient 1) d’étudier et d’évaluer les mécanismes épuratoires des unités; 2) d’optimiser et d’élaborer les règles de dimensionnement et de conception des unités et de les généraliser pour des applications à l’échelle des bassins versants; et 3) d’évaluer l’impact de l’implantation des unités de traitement sur la santé de l’écosystème du lac.
Le site pilote est le bassin versant du lac Saint-Augustin situé en banlieue de la Ville de Québec, soit un milieu fortement urbanisé. Le lac Saint-Augustin est contaminé et classé hypereutrophe. En effet, ce serait le pire cas d’eutrophisation au Québec [10, 11] selon les mesures en P, Transparence, Chlorophylle-a, mais aussi selon la présence de cyanobactéries (tableau 1). Le lac a perdu depuis des années tous ses usages récréatifs ainsi que celui de source d’eau potable. Au fil des ans, l’utilisation du territoire autour du lac a évolué de forêt à milieu agricole, puis à milieu urbain (fig. 1). Le bassin versant du lac englobe 2 km de l’autoroute 40 (construite en 1974), une partie du boulevard Wilfrid-Hamel (route 138) et une partie des villes de Saint-Augustin-de-Desmaures et de Québec. D’une superficie de 0,67 km2 et peu profond, il est considéré comme un lac de tête. Les eaux souterraines constituant la moitié de sa recharge [4] sont aussi contaminées par des nutriments et par les sels de déglaçage. Les éléments nutritifs se retrouvant dans les sédiments du lac sont issus du passé agricole et des fosses septiques désuètes ainsi que des eaux souterraines riches en phosphore. Le lac Saint-Augustin présente une augmentation spectaculaire de la conductivité électrique (CE) de l’eau, indicatrice de la salinité des eaux. Au lac, la CE est passée de 280 μS/cm, avant la construction de l’autoroute 40, à 1 300 μS/cm en 2011 (fig. 2b) [4]. Une étude paléolimnologique [10] de sédiments du lac a montré la présence d’algues appartenant à des espèces d’eaux saumâtres (fig. 2a). En conséquence et depuis 2001, des efforts de réduction à la source ont porté leurs fruits et, aujourd’hui, il ne reste que deux sources de pollution, en voie d’être réglées, soit les sédiments au fond (source interne de phosphore) et le ruissellement routier.
La rétention par lit filtrant actif est plus appropriée aux contaminants provenant du réseau routier. Le mélange calcite-dolomite concassée a montré un excellent niveau de succès [12, 13]; des essais d’adsorption et désorption ont montré ainsi que ce mélange peut retenir les trois polluants visés, soit les sels, les nutriments et les EMT. Des capacités élevées d’adsorption, de 400 à 1 000 mg/kg de P et de 1 000 à 5 000 mg/kg de NaCl, ont été mesurées. Ce mélange retient également 100 % des EMT lorsque les concentrations sont inférieures à 10 ppm, tandis que la CE peut être réduite de 40 % pour des niveaux initiaux de 1 000 μS/cm.
La phyto-absorption des sels par des plantes halophytes dans le MECA imite les processus qui se produisent dans les zones humides et les marais naturels. Les plantes halophytes utilisées sont aptes à traiter les effluents routiers, car elles sont résistantes à de fortes salinités, peuvent accumuler le sel dans leur biomasse grâce à des mécanismes physiologiques, peuvent réduire la charge en nutriments et en EMT grâce aux mêmes mécanismes de bioaccumulation. De plus, elles poussent dans des marais salés de l’estuaire du Saint-Laurent et peuvent supporter de grands écarts quotidiens de niveau d’eau, de sel et de température [14, 15, 16]. Lors de nos études, nous avons utilisé cinq plantes halophytes indigènes au sud de l’estuaire du fleuve Saint-Laurent (zones humides salines naturelles de Kamouraska). Les résultats de ces études révèlent que ces plantes offrent un potentiel d’accumulation de sel dans leur biomasse : de 10 000 à 20 000 mg NaCl/kg de biomasse séchée pour des eaux de ruissellement routier avec des concentrations initiales en NaCl comprises entre 500 et 2 000 mg/L.
Le système pilote est innovateur, conçu compact et bien intégré au paysage. Les composantes du système (fig.3) sont : 1) le bassin d’homogénéisation, accumulant la pluie de récurrence de deux mois de la partie nordouest de trois sous-bassins du lac Saint- Augustin. Cette lagune artificielle permet de collecter 80 % du volume de pluies accumulées au printemps (eaux riches en sels); le mécanisme opérant est la sédimentation; 2) le MECA est constitué d’un bassin peu profond et un jeu de vannes permet d’abaisser le niveau d’eau selon les besoins des plantes halophytes, lesquelles absorbent les contaminants; 3) le LFR utilisant comme milieu filtrant un mélange calcaire-dolomite, ce matériel adsorbe les contaminants.
Impact sur les eaux souterraines : la qualité des eaux souterraines est suivie par la mesure de la CE, du pH, des concentrations en Na, Ca, Cl et P (total et dissous) à l’aide de 10 piézomètres répartis dans le bassin versant du lac Saint-Augustin (fig. 4).
L’évaluation écotoxicologique des impacts sur les eaux et les sédiments inclut plusieurs paramètres à évaluer sur les eaux de surface, sur les eaux interstitielles des sédiments et sur les sédiments. Notamment, la CE, le pH, les teneurs en MES, COT, les anions et les cations majeurs (p. ex. Cl, P, N), les EMT, la concentration et l’identification des cyanobactéries, des essais de toxicité sur les eaux de surface (croissance des algues, mortalité et reproduction des daphnies, croissance de la truite arc-en-ciel), des essais de toxicité sur les sédiments (croissance et émergence des larves de chironomes, croissance et reproduction des amphipodes).
4. Conclusions
Les retombées bénéfiques de ce projet sont multiples : 1) le développement de connaissances dans les domaines fondamentaux de la géochimie, de l’écologie, la limnologie et le dimensionnement innovateur des unités; 2) le développement, la validation et la démonstration des technologies permettant d’atténuer les impacts des sels de déglaçage à grande échelle.
RÉFÉRENCES :
[1] Charboneau. Sels de voirie une utilisation... SPHNC.
[2] EC. (1999). Sels de voirie - Loi canadienne sur la protection de l’environnement
[3] Mayer W. J. Snodgrass et D. Morin (1999). Spatial charact. of the occurrence of road salts and their envir. concentrations in Can. surface waters…, Water Qual. Res. J. Can., 34(4): 545-574.
[4] Galvez-Cloutier, Leroueil & Pérez-Arzola (2006). Le lac Saint-Augustin, sa problématique d’eutrophisation et le lien avec les produits d’entretien de l’autoroute 40. Rapports MTQ I, II, III.
[5] Stead-Dexter & Ward (2004). Mobility of HM within freshwater sediments affected by motorway stormwater. Science of the Total Env., 334–335.
[6] Joseph & Hagemann, M. (1996). Dynamics of the response of cyanobacteria to salt stress: deciphering the molecular events. Physiologia plantarum, 96(4): 738-744.
[7] Sudhir & Murthy (2004). Effects of salt stress on basic proceses of photosynthesis. Photosynthetica, 42(4): 481-486.
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[9] MTQ. Plan d’action de DD 2009-2013.
[10] Roberge, K. (2003). Paléolimnologie du lac Saint-Augustin. Mémoire de maitrise - U. Laval.
[11] Galvez-Cloutier & Sanchez (2007). Can. Water Research J. Quality Analysis of 154 lakes in Quebec: Trophic Status and Recommendations.
[12] Galvez-Cloutier, Leroueil & Morteau (2007). Évaluation du potentiel de géo-matériaux et de plantes halophytes pour la rétention de sels. Rapport d’avancement doctorat.
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[16] Morteau, B. G. Triffault-Bouchet, R. Galvez, L. Martel, et S. Leroueil (2010). Treatment of salted road runoffs using Thypha latifolia, Spergularia Canadensis and Atriplex patula: a comparison of their salt removal potential. J. ASTM Intl. Vol 6, No 4.