Le défi des déplacements des personnes présentant une déficience visuelle lors des conditions hivernales : importance des mesures d’entretien et des adaptations environnementales

Mercredi 21 janvier 2009
Viabilité hivernale
Amas de neige à un coin de rue de Montréal, 5e journée de déneigement
Julie-Anne Couturier
École d’Optométrie
Université de Montréal (UdeM)
Agathe Ratelle
École d’Optométrie
Université de Montréal (UdeM)

L’hiver constitue l’un des plus gros obstacles aux déplacements des personnes présentant une déficience visuelle. La complexité des conditions environnementales ainsi que leur variabilité et leur imprévisibilité peuvent grandement affecter l’autonomie et la sécurité de ces personnes. Plusieurs problèmes d’orientation et de mobilité ont d’ailleurs été cliniquement et scientifiquement relevés (Couturier et Ratelle, sous presse; Gao et Abeysekera, 2004 a; Wall, 2001; Welsh et Wiener, 1976). Ils sont reliés soit aux conditions de neige ou de surfaces glacées, soit à une combinaison des deux.

La difficulté des déplacements en conditions hivernales

Lors de chutes de neige, l’accès à l’information sensorielle normalement utilisée en l’absence de vision est réduit. Les sons de la circulation sont étouffés ou d’intensité réduite, ce qui les rend peu audibles pour réaliser les tâches de détection, de localisation et d’alignement. Le déplacement en ligne droite, l’orientation spatiale et les traversées de rue sont plus difficiles. Des amas de neige peuvent également se retrouver dans la zone de déplacement du trottoir et au coin d’une rue. Leur contournement peut conduire à des désorientations et des déviations dans des zones à risque, par exemple dans les voies de circulation routière. L’enneigement des coins de rues peut même rendre impossible la détection d’une rue perpendiculaire, la personne se retrouvant alors engagée dans une traversée sans le savoir!

D’autre part, lors d’une enquête québécoise menée auprès d’un groupe de personnes aveugles expérimentées et autonomes en situation hivernale, les conditions de glace ont été exprimées comme étant la condition hivernale la plus problématique lors des déplacements (Couturier, Ratelle et Bilodeau, 2006). Dans une étude longitudinale menée auprès d’une population nordique, Ytterstad (1996) démontre que les chutes sont cinq fois plus fréquentes durant la période hivernale. Les personnes âgées sont particulièrement visées par la problématique des chutes; la prévention est d’ailleurs devenue une préoccupation majeure dans le domaine de la santé publique (Couturier et Ratelle, sous presse).

Cependant, certaines conditions de glace représentent un risque quel que soit l’âge de personne : 1) un refroidissement soudain, subséquent à une période de réchauffement, crée une surface entièrement glacée; et 2) une couche de neige qui recouvre la glace. Cette dernière condition serait la pire, car la présence de glace n’est pas suspectée ou anticipée; la personne n’est pas prête à adapter sa posture et sa démarche pour négocier un espace très risqué. L’anticipation visuelle est un facteur déterminant de l’ajustement postural et une perception visuelle de trois à cinq mètres est nécessaire pour fournir un temps de réaction suffisant (Gao et Abeysekera, 2004a, b). De surcroît, les personnes ayant une déficience visuelle n’ont pas accès à une perception à distance de ces surfaces. Les déplacements sur les surfaces glacées demeureront ainsi critiques, voire très dangereux, durant toute la période hivernale.

Faciliter les déplacements hivernaux des personnes ayant une déficience visuelle

Plusieurs mesures doivent être considérées pour améliorer la sécurité des déplacements des personnes ayant une déficience visuelle en hiver :

1) les stratégies adoptées par la personne elle-même; 2) les services offerts par les centres de réadaptation; 3) les services d’information publics; 4) les services d’entretien rapides et adéquats; 5) les systèmes de transport adapté; 6) certaines adaptations environnementales; et 7) la conscientisation des citoyens.

1) Stratégies de la personne

Plusieurs stratégies peuvent être utilisées par la personne ayant une déficience. Elle doit être proactive dans sa planification afin de prévenir et de sécuriser ses déplacements. Différents exemples sont mentionnés  : s’informer de la température et de l’état de déneigement de son quartier et des endroits où elle doit se rendre dans la journée; prévoir une marge de temps supplémentaire dans ses déplacements; être alerte durant la marche et marcher lentement; si une surface glacée est anticipée, élargir la base des pieds, faire de petits pas, pieds au sol et fléchir les genoux; porter des bottes avec talons plats et semelles antidérapantes; se procurer et transporter des semelles à crampons pouvant s’ajuster sur les bottes; éviter de sortir lors de journées à risque; demander des interventions d’un spécialiste en orientation et mobilité d’un centre de réadaptation.

2) Services offerts dans les centres de réadaptation

Parmi les services offerts, une évaluation et des interventions par un spécialiste en orientation et mobilité peuvent être fournies. Selon le cas, différents moyens peuvent être recommandés : raffinement des habiletés de base en orientation et mobilité pour circuler en conditions hivernales; attribution de filtres solaires pour pallier l’éblouissement; attribution et entraînement avec une canne longue de détection ou une canne de support de couleur blanche, incluant l’usage d’un pic à glace; attribution de semelles antidérapantes; vérification de la connaissance des stratégies de déplacement l’hiver; vérification des trajets habituellement réalisés par la personne et recommandations de trajets plus sécuritaires; stratégies aux passages piétonniers; détermination de moyens alternatifs lors de journées à risque (guide humain, transport adapté), etc. Malheureusement, seulement 20 % des personnes âgées ayant une déficience visuelle utilisent les services d’un centre de réadaptation.

3) Service d’information publique

Alors que les chroniqueurs «  météo  » fournissent certaines informations concernant les conditions de température, un système d’information plus pointu pourrait être ajouté afin d’informer les piétons de la condition des chaussées (Aschan et collab., 2009). À titre d’exemple, mentionnons une ligne téléphonique en continu. Des informations au journal du matin (radio ou Internet) devraient au minimum être offertes lors de journées à risque (Ex. : surfaces glacées).

4) Services d’entretien rapides et adéquats

Des services d’entretien adéquats constituent l’adaptation environnementale la plus ciblée par les personnes ayant une déficience visuelle. Ils pourraient rendre leurs déplacements plus efficients (Couturier et collab., 2006; Lundalv, 2001). Parmi les services requis, on signale le nettoyage et l’enlèvement rapide de la neige ainsi que l’épandage de matériau antiglissement, lorsque la surface est glacée (sable et gravillons). Par ailleurs, la séquence de déneigement pourrait être ajustée pour convenir aux besoins particuliers de personnes non voyantes dans un secteur donné. Par exemple, le côté ouest d’une rue pourrait être déblayé plus rapidement à la suite d’une demande d’un citoyen non voyant habitant sur cette rue.

5) Systèmes de transport adapté

Des services de transport adapté doivent être offerts sur tous les territoires et être facilement accessibles en condition hivernale. Alors que les services existants doivent être demandés à l’avance, la possibilité d’effectuer des demandes de dernière minute pourrait être envisagée lors de changements rapides de température. L’annulation de ces services lors de conditions climatiques difficiles représente un réel problème. L’organisation et la disponibilité de services alternatifs restent à définir quand les personnes ne peuvent s’absenter de leur milieu de travail ou manquer des examens médicaux.

6) Adaptations environnementales

Plusieurs adaptations environnementales amélioreraient le déplacement en condition hivernale. Norman Pressman (2004), urbaniste canadien et consultant international, présente une vision globale très riche en regard d’un aménagement optimal des villes présentant une période hivernale prolongée. Il suggère, entre autres, des abribus et des trottoirs chauffés dans certains quartiers commerciaux, des voies de circulation piétonnières couvertes d’un toit dans les zones commerciales fréquentées, etc. Il souligne également l’importance de mesures particulières pour les groupes plus vulnérables. Si l’on considère les besoins spécifiques des personnes avec une déficience visuelle, deux adaptations semblent particulièrement appropriées pour l’hiver : l’installation de signaux sonores et l’aménagement de surfaces « avertissantes » aux coins des rues (Couturier et Ratelle, sous presse).

Signaux sonores

Cette adaptation peut faciliter toutes les tâches devant être effectuées lors d’une traversée de rue aux intersections contrôlées par des feux de circulation (Ratelle et Zabihaylo, 2007). En effet, le dispositif de localisation du bouton poussoir indique la proximité de la rue perpendiculaire et permet de localiser le bouton poussoir lorsque celui-ci doit être activé. La zone adjacente au poteau doit cependant être accessible. De plus, l’émission en alternance des signaux sonores permet de déterminer quand la traversée est permise et quand le moment est opportun de l’entamer. L’alternance permet aussi de corriger l’alignement avant la traversée et de maintenir la ligne droite durant toute la traversée. Le positionnement des haut-parleurs centrés dans le couloir de déplacement permet de maintenir la personne dans le couloir piétonnier et de détecter plus facilement la zone de déplacement sur le coin de rue opposé lorsque celui-ci est enneigé.

Surfaces « avertissantes »

Il est observé cliniquement que les lignes actuellement placées au coin des rues n’offrent aucune utilité aux personnes non voyantes. Les lignes dites avertisseurs n’ont aucune efficacité pour avertir la personne qu’elle s’approche d’un coin d’une rue et les lignes placées à angle au coin ne peuvent être utilisées pour l’alignement comme prévu au départ. Les recherches en ce sens ont conduit au développement d’une surface «  avertissante  » effectivement détectable (Bentzen, Barlow et Tabor, 2000). Cette surface constituée de dômes tronqués perceptibles par les pieds ou par la canne est maintenant devenue le standard international. Les essais sur terrain à Montréal et en banlieue, ainsi que les études d’experts, suggèrent de construire ces dômes en fonte, car ils sont plus résistants en condition hivernale (Boisvert et Fowler, 2007; Kaplan, 2006). L’efficacité et la sécurité de ces surfaces « avertissantes » ont récemment été étudiées en condition hivernale par Landry, Ratelle et Overbury (2009). Ils ont démontré que ces surfaces étaient perceptibles dans des conditions ensoleillées et étaient estimées sécuritaires par les personnes non voyantes. Un entretien optimal reste à déterminer surtout pour les zones non ensoleillées. Des démarches officielles seront prochainement entreprises pour élargir l’installation de ces surfaces « avertissantes » sur nos territoires.

7) Conscientisation des citoyens

À la suite d’une tempête de neige, en milieu urbain, les propriétaires de véhicules se mettent à la lourde tâche de déneiger leur voiture ainsi que l’espace aux alentours. En conséquence, d’importants amas de neige se retrouvent directement dans la zone de déplacement du trottoir public, créant ainsi des obstacles difficiles à franchir ou à contourner par le piéton aveugle. Garder la zone de déplacement libre d’obstacles requiert donc une conscientisation de tous les citoyens.

Conclusion

Dans plusieurs pays du monde, la période hivernale est suffisamment longue pour induire une pensée et un agir en mode hivernal, particulièrement si nous voulons réduire certaines barrières environnementales et assurer la sécurité des citoyens. Quant aux déplacements des personnes ayant une déficience visuelle, l’intégration de plusieurs systèmes est nécessaire, tant concernant la personne elle-même que l’environnement.

Parmi ceux relevant du domaine de la voirie et de l’aménagement urbain, l’entretien adéquat (rapide et régulier) est prioritaire et est régulièrement souligné par les populations cibles. Cet entretien est particulièrement requis en cas de glace, car il permettrait de prévenir ou de réduire les chutes et leurs conséquences pour les citoyens. D’autres mesures sont proposées et pourraient même avoir un impact bénéfique direct pour toute la population.

Références

Aschan, C., Hirvonen, M., Rajamäki, E., Mannelin, T., & Ruotsalainen, R.R. (2009, in press). Performance of slippery and slip-resistant footwear in different wintry weather conditions measured in situ. Safety Science (2009).

Bentzen, B.L., Barlow, J.M., & Tabor, L.S. (2000). Detectable warnings: Synthesis of U.S. and international practice. Washington, D.C.: U.S. Access Board.

Boisvert, D.M., & Fowler, J. (2007). Durability of truncated dome systems: Interim evaluation report, fall 2007. Concord, NH: Materials & Research Bureau of the Hew Hampshire Department of Transportation.

Couturier, J.A., Ratelle, A., & Bilodeau, E. (2006, November). Orientation and mobility issues related to winter conditions: Opinions of functionally blind experienced travelers. Paper presented at the NE/ AER Conference 2006, Montréal, Québec.

Couturier, J.A., & Ratelle, A. (sous presse). Teaching orientation and mobility in adverse weather conditions. In B.B. Blasch, W.R. Wiener, & R.L. Welsh (Editors). Foundations of orientation and mobility, 3rd edition. New York: AFB Press.

Gao, C., & Abeysekera, J. (2004a). A systems perspective of slip and fall accidents on icy and snowy surfaces. Ergonomics, 47 (5), 573-598.

Gao, C., & Abeysekera, J. (2004b). Slips and falls on ice and snow in relation to experience in winter climate and winter sport. Safety Science, 42, 537-545.

Kaplan (2006). Report on Spring 2006 Evaluation of detectable warning products installed 2003-2005. Montpellier, VT: Local Transportation Facilities Section, Program Development Division, Vermont Agency of Transportation.

Landry, J., Ratelle, A., & Overbury, O. (2009). Evaluation of the efficacy and safety of warning tiles during winter: Effect of color and material. Unpublished research report [French version], Université de Montréal, Montréal, Québec, Canada.

Lundälv, J. (2001). The experiences of visually impaired people in Sweden as pedestrians and cyclists. Journal of Visual Impairment and Blindness, 95 (5), 302-304.

Pressman, N. (2004). Shaping cities for winter: Climatic comfort and sustainable design. Prince George, BC (Canada): Winter Cities Association.

Ratelle, A., et Zabihaylo, C. (2007). Traverser la rue à l’aide d’un signal sonore : la sécurité avant tout. Actes du colloque COMOTRED 2007.

Wall, R.S. (2001). An exploratory study of how travelers with visual impairments modify travel techniques in winter. Journal of Visual Impairment and Blindness, 95 (12), 752-756.

Welsh, R. L., & Wiener, W. (1976). Travel in adverse weather conditions. New York: American Foundation for the Blind.

Ytterstad, B. (1996). The Harstad injury prevention study: Community based prevention of fall-fractures in the elderly evaluated by means of a hospital based injury recording system in Norway. Journal of Epidemiology and Community Health, 50, 551-558.
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