Les brise-vent : de la théorie à la pratique
La disparition d’un réseau efficace
Il fut un temps où le paysage agricole québécois était morcelé par de grands alignements d’arbres. Sans qu’on le réalise vraiment, ceux-ci constituaient un réseau de brise-vent extrêmement efficace qui protégeait les routes en captant la neige. L’évolution des pratiques agricoles et la modernisation de la machinerie ont entraîné dans leur sillage la disparition des haies. Ces changements sont survenus à peu près en même temps que le développement du réseau routier et l’arrivée d’une machinerie plus performante pour le déblaiement. Avec le temps, nous avons donc graduellement délaissé les principes entourant l’usage de brise-vent en croyant être capables de dompter l’hiver et d’augmenter les rendements en agriculture. La nature nous a rapidement fait réaliser qu’il y a des limites à la modernisation. Les vents ont entrainé l’érosion des sols et les conditions de conduite sont devenues difficiles sur certains tronçons routiers pendant la période hivernale. Ce retour du balancier nous a obligés à redécouvrir le potentiel des haies brise-vent pour retenir la neige, réduire l’érosion des sols, contrôler les odeurs et diminuer les coûts de chauffage des bâtiments. Mais le contrôle de la neige avec la végétation n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît.
L’hiver qui nous piège
Nous savons que la neige peut être transportée sur une distance d’environ 3 km de long par un vent soufflant entre 10 et 15 km/h. Il est donc facile d’imaginer la vulnérabilité d’une route qui traverse une plaine dénudée. Il est vrai que les conditions de conduite difficiles pendant une tempête sont, jusqu’à un certain point, généralisées sur l’ensemble du réseau routier à moins que l’enneigement soit tel qu’il devienne impossible de la déblayer. À ce moment, il est possible que les autorités soient obligées de fermer un tronçon routier et que certains secteurs résidentiels soient privés de services d’urgence. L’autre difficulté en période hivernale réside dans le transport de la neige le lendemain d’une tempête. Dans ce cas, ce n’est pas l’ensemble du réseau routier qui est touché. Ainsi, par une belle journée ensoleillée, l’usager qui se déplace sur un tronçon routier bien dégagé peut perdre momentanément sa visibilité et déraper parce que la chaussée n’est pas dégagée ou qu’elle est glacée. L’effet-surprise causé par l’impossibilité d’anticiper la détérioration subite des conditions de conduite peut même entrainer des carambolages. Il faut donc intervenir, mais comment ?
Sauver des vies avec la végétation
Les haies brise-vent font partie des outils mis à notre disposition pour améliorer la sécurité routière. La conception de celles-ci implique la prise en compte d’une multitude de facteurs. Pour mieux s’y retrouver et éviter d’y perdre son latin, mieux vaut y aller par étape. Au départ, il faut cerner le type de problème rencontré : enneigement excessif, baisse de visibilité sur une section de la route ou chaussée glacée. Ici, une lecture des accidents demeure un bon indice. Par la suite, une visite du site en compagnie du personnel assigné au déneigement est l’incontournable à ne jamais négliger pour la collecte des données. Cette visite permettra de mieux cerner sur place la provenance des vents qui sont responsables du problème, de déterminer si le relief peut aussi contribuer à détériorer les conditions (route plus basse que le relief), d’évaluer la distance de dégagement entre la route et la végétation environnante. C’est également l’occasion d’évaluer les opportunités pour la mise en place des haies : présence d’un cours d’eau agricole qui pourrait être bordé de végétation, alignement des lots cultivés par rapport à la route, nature des sols et de la végétation et plus encore. Puis arrive l’étape de la planification de la solution : analyse de la rose des vents et de la quantité de neige accumulée au sol, localisation des haies et sélection des essences de végétaux. Parmi les principaux éléments de design, mentionnons que la distance entre l’accotement de la route et une haie doit être approximativement de 15 fois sa hauteur, la distance entre deux haies de 20 fois leur hauteur et qu’il faut toujours prolonger la haie au-delà de la zone à protéger pour assurer une bonne efficacité. Saviez-vous que des végétaux atteignant 4 m à maturité sont aussi efficaces qu’une clôture à neige de 2,5 m de haut et que des végétaux de plus de 6 m à maturité équivalent à deux clôtures à neige de 2,5 m de haut ? Ce constat nous indique qu’une haie basse composée avec des arbustes peut assurer une excellente efficacité. Lors de la planification d’une intervention, méfiez-vous de la croyance voulant qu’une haie doive être construite avec des épinettes. Une clôture à neige est constituée à 50 % de vide et à 50 % de plein. En langage plus technique, on dit qu’elle possède une porosité de 50 %. Il est donc facile d’atteindre une telle porosité avec des arbres et des arbustes feuillus. Ainsi, nous avons tout en main pour planifier l’implantation des haies et passer à l’étape de la rencontre avec les propriétaires concernés par notre intervention. À cette étape de notre travail, il faut être prêts à accepter une remise en question de notre intervention afin de l’adapter. N’oublions jamais que le but est de concilier le besoin de protection de la route avec les pratiques agricoles. Parmi les arguments qui peuvent nous aider dans les discussions, n’oublions jamais que la présence de haies est reconnue comme étant bénéfique à l’agriculture. Les haies permettent de contrôler l’érosion des sols, d’accumuler la neige et de tempérer le climat favorisant ainsi une augmentation du rendement. La présence des oiseaux dans les arbres assure également un certain contrôle des insectes. Généralement, plusieurs rencontres sont nécessaires afin de laisser le temps à tous de s’ajuster et d’approuver le projet. Lorsque tout est prêt, il reste à négocier des servitudes qui permettront d’officialiser légalement l’implantation de haies et d’engager les coûts inhérents en vue d’assurer la pérennité des investissements à long terme lors du transfert d’un propriétaire à un autre. On n’insistera jamais assez sur les gages de succès d’un projet bien réussi qui passent par une entente favorable au projet avec les propriétaires concernés, une bonne préparation du sol, le recours à un paillis de plastique (qui augmente la croissance des végétaux par trois), la sélection de végétaux en santé à la pépinière, de bonne condition de plantation et enfin l’entretien, l’entretien et toujours l’entretien. À long terme, il faut viser que les végétaux soient en santé et qu’ils possèdent une structure équilibrée. Il faut toujours remplacer les végétaux morts afin d’éviter qu’il y ait une interruption dans la continuité de la protection assurée par une haie. Malgré toute la bonne volonté du monde, si jamais vous avez des difficultés à faire approuver vos interventions par les propriétaires, il reste toujours à piger dans la boîte à outils des nombreux moyens qui peuvent être utilisés pour améliorer les conditions routières en période hivernale.
Une autre façon de contrôler la neige pour s’adapter aux contraintes du milieu
S’adapter en fonction de chaque situation nous oblige à être inventifs. Une haie brise-vent peut être composée d’un seul alignement d’arbres, de deux rangées d’arbres et d’arbustes et même de trois rangées de végétaux. Dans ce cas, il arrive qu’une rangée d’arbres soit constituée de bois à valeur commerciale qui pourra être prélevé plus tard sans nuire à l’efficacité de la haie. Une telle source de revenus peut présenter un intérêt non négligeable à l’acceptabilité d’une intervention. La largeur nécessaire à l’implantation d’une haie simple sera de 3 m, une haie double de 4,5 m et une haie triple de 6 m. Pour les propriétaires qui ne désirent pas subir le morcellement des aires cultivées avec des haies, la bande boisée reste une solution intéressante. Cette dernière est une plantation de plusieurs rangées d’arbres sur une largeur de 20 m, placés à 10 m de la route parallèlement à celle-ci. Contrairement à la haie brise-vent qui étale la neige dans le champ, la bande boisée stoppe la neige et l’oblige à se déposer dans les plantations. Elle imite simplement l’effet d’un boisé. Depuis quelques années, la bande boisée réduite a été inventée afin de limiter l’espace nécessaire à l’implantation d’un projet. Celle-ci est installée immédiatement en bordure de fossé et la largeur des plantations est réduite à 10 m. Mais les variantes des haies brise-vent ne suffisent pas à régler tous les problèmes. Il nous est arrivé de devoir implanter une haie dans une tourbière. Dans ce cas, il a fallu faire une sur charge avec du sable, constituer un monticule de terre et implanter des végétaux sur celle-ci. La solution s’est avérée magique. Malgré toutes ces prouesses, n’allons pas penser que la végétation est la solution à tous les maux. Qui n’a pas vu pendant l’hiver un souffleur faire une tranchée dans la neige en bordure d’une route ? C’est l’une des façons de retenir la neige. Par contre, il arrive souvent que la tranchée cause des dommages aux terres agricoles et, de plus, il faut attendre que plusieurs précipitations soient tombées pour pouvoir retenir la neige. La mise en place de monticules demeure toutefois une solution plus permanente présentant un intérêt lorsque l’usage des sols en bordure de la route s’y prête. Les monticules doivent être éloignés de la route à une distance de deux à cinq fois leur hauteur. L’ajout de plantation sur le monticule ajoutera à l’efficacité de cette solution. Si la route est plus basse que le terrain naturel, le talus de déblai qui la borde favorise l’accumulation de la neige sur la chaussée. Dans une telle situation, l’adoucissement du talus du déblai à une pente 7H :1V fera en sorte que la neige traverse la route au lieu de s’accumuler sur la chaussée. Lors du réaménagement d’un tronçon routier, la décision de relever la route de quelques mètres peut également aider grandement à limiter son enneigement. Dans des régions où l’accumulation de neige au sol est moins importante, il est même possible de créer des brise-vent avec des plantations de graminées ou en laissant croître les graminées existantes comme les phragmites. En terre agricole, le maintien de quelques rangées de blé d’Inde lors de la récolte peut également devenir un excellent moyen de contrôle de la neige. Enfin, il ne faudrait pas passer sous silence la contribution de clôture à neige dans l’amélioration des conditions de conduite des usagers. Ce moyen reste le plus connu. La clôture à neige demeure un incontournable à mettre en place pour assurer une protection de la route avant que les haies brise-vent soient suffisamment hautes pour assumer leur rôle. Pour une bonne efficacité, la clôture doit avoir au moins 2 m de haut afin qu’elle ne soit pas entièrement enfouie sous la neige. Il faut laisser un espace libre entre le sol et le bas de la clôture. Il ne faut pas oublier d’attacher des rubans colorés sur les fils des haubans qui retiennent la clôture afin d’assurer la sécurité des motoneigistes. Différents matériaux sont utilisés dans la fabrication des clôtures. Tout le monde connaît le Tensar, mais il existe la clôture allemande Beilharz (tissu de polyéthylène) qui est plus résistante et qui a été conçue de façon à rendre son installation et son enlèvement beaucoup plus faciles. Contrairement aux haies brise-vent qui restent un moyen permanent de contrôler la neige, les clôtures ont le désavantage de nécessiter leur mise en place et leur enlèvement chaque année. Par contre, lorsqu’un agriculteur est réticent à la mise en place d’une haie, ce moyen demeure une solution intéressante. Voilà qui complète notre tour d’horizon. Ce survol nous démontre qu’il y a autant de solutions pour protéger la route pendant l’hiver qu’il y a de type de milieu. Il n’en tient qu’à nous de dénicher le bon geste qui pourra satisfaire tous les intervenants et atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.
Dépasser la ligne droite
Avant de vous quitter, j’aimerais insister sur le virage créatif que doivent prendre nos interventions. L’implantation d’une haie, d’une bande boisée, d’un mouvement du relief ne doit pas nécessairement viser uniquement l’aspect fonctionnel. Il faut dépasser le syndrome de la ligne droite et de la régularité. Une intervention dans l’échangeur d’une autoroute peut être une occasion de marquer la porte d’entrée d’une ville. Pourquoi ne pas faire un nivellement, le couvrir de divers végétaux, arbres et arbustes dont une partie possède un feuillage coloré. Et voilà, on vient de transformer le visage du brise-vent rectiligne qui était planifié. Il est ainsi primordial de diversifier notre choix de végétaux. Cette attitude permet de dynamiser l’apparence du brise-vent tout en renforçant la résistance de l’ouvrage. Si nous optons pour une seule essence végétale et qu’un insecte ou une maladie s’attaque à celle-ci, nous allons tout perdre alors que la diversité limitera les pertes. Bien entendu, il va de soi que les végétaux sélectionnés doivent posséder une bonne résistance aux vents. Si des végétaux attrayants pour la faune correspondent à ce critère, n’hésitez pas à l’implanter puisque les haies forment des couloirs verts. Il faut éviter d’entrer en conflit avec le drainage agricole souterrain et les servitudes aériennes des lignes de transport d’énergie. Pour éviter que les végétaux ne soient broutés par les animaux, il faut prévoir une clôture agricole, si les haies sont implantées sur un lot destiné au pâturage. Enfin, il faut toujours penser à maintenir nos acquis à long terme et ne jamais perdre de vue nos aménagements. Soyons toujours prêts à réagir si une tempête tropicale couche quelques arbres ou si le verglas brise des branches. Une fois de plus, je reviens à la nécessité d’entretenir. Ne l’oubliez jamais.
Bons projets !