Assurer le maintien de nos actifs

Mercredi 21 décembre 2011
Infrastructures de transport, Sécurité et Aménagement, Gouvernance, Infrastructures de transport, Mobilité durable
Assurer le maintien de nos actifs
Daniel Toutant
Président
Cosime inc.

Ces dernières années, les budgets de réhabilitation et de reconstruction de nos infrastructures de transport ont littéralement explosé. La très grande majorité de ces infrastructures ayant été construites dans les années 1960 et 1970, il pourrait sembler dans l’ordre des choses qu’elles aient atteint leur fin de vie utile et que l’on doive procéder à leur reconstruction. Il y a cependant tout lieu de croire qu’un programme d’entretien rigoureux en continu, couplé à une conception qui tient compte de tout le cycle de vie des ouvrages (construction-exploitation-réhabilitation), aurait certainement permis de réduire les coûts totaux et de lisser les investissement auxquels nous devons présentement consentir. Une telle approche aurait aussi permis de prolonger la durée de vie de ces ouvrages. Nous verrons comment le mode de réalisation (approvisionnement et financement) et la gouvernance d’un projet peuvent influer positivement sur le coût global et ainsi assurer de façon optimale le maintien de l’actif.

Le développement du réseau routier des années 1960

La frénésie de développement qu’a connu le Québec au début des années 60 a fait en sorte qu’un grand nombre de projets a vu le jour dans un court laps de temps dans le domaine des transports, et plus particulièrement sur le réseau routier. Comme dans la plupart des administrations publiques, on construisait sans trop se préoccuper du long terme. Les concepteurs étaient à l’affût de nouveaux matériaux plus performants et économiques, de méthodes de construction rapides et souvent audacieuses, et ce, afin de répondre aux besoins pressants des autorités. Les codes de conception et de construction, souvent inspirés des expériences étrangères et donc parfois mal adaptés à nos conditions climatiques, ne pouvaient s’appuyer sur une longue expérience pour guider les concepteurs.

Par exemple, malgré l’utilisation massive de sels de déglaçage sur nos routes l’hiver, nous avons construit nos structures en béton, parfois avec des poutres-caissons peu ou pas ventilées, difficiles d’accès pour des inspections visuelles, avec des armatures sans protection et des couverts de béton insuffisants pour les protéger. L’utilisation des armatures galvanisées dans les dalles de tabliers de ponts est relativement récente. Une analyse de coûts sur l’ensemble de la période d’exploitation des projets aurait démontré que le coût supplémentaire de l’investissement initial lié à l’utilisation d’armature galvanisée aurait été largement compensé par les économies d’entretien ou de réfection obtenues pendant la période d’exploitation.

Un autre facteur important a mené à cette concentration d’ouvrages à réhabiliter ou à reconstruire dans une courte période de temps : l’absence de programme d’entretien préventif continu. Un tel programme doit débuter dès le premier jour de l’exploitation, et non pas lorsque la structure commence à montrer des signes de faiblesses, car le mal est déjà fait. Il est bien évident que la rareté des ressources financières et les besoins urgents des autres secteurs, comme la santé et l’éducation, ont obligé à remettre à plus tard non seulement l’entretien courant, mais parfois des réfections pressantes. Même si la sécurité des usagers n’est pas mise en danger, les coûts d’une réfection retardée augmentent toutefois exponentiellement dans le temps. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui nous devons consacrer des sommes inouïes, qui dépassent largement les coûts de construction actualisés, pour maintenir en service ces ouvrages négligés. Ces investissements considérables concentrés dans le temps freinent le développement de nouveaux projets routiers et de transport collectif.

Lorsque la remise à niveau de nos infrastructures sera terminée, nous aurons le devoir de prendre les mesures nécessaires pour assurer que nous ne léguerons pas aux générations futures un pareil scénario. Il faut profiter des leçons apprises pour mettre en oeuvre des mécanismes qui assureront la pérennité des ouvrages réhabilités, en y incluant bien sûr le développement de nouveaux projets.

L’intégration de la conception, de la construction, de l’entretien et de la réhabilitation

Les projets réalisés en mode partenariat public-privé ont l’avantage d’intégrer plusieurs phases du cycle de vie des ouvrages. Puisque le concessionnaire sera responsable de remplir les critères de performance (niveau de service) définis par le maître d’ouvrage et d’effectuer l’entretien nécessaire tout au long de la période de concession, il a tout avantage à en optimiser la conception afin d’équilibrer les dépenses en capital (construction) et les dépenses d’exploitation (entretien et réhabilitation). Le modèle financier du partenaire privé doit donc prévoir les sorties de fonds nécessaires pour maintenir le niveau de service requis par les ententes de partenariat ou par les besoins des usagers. Ces provisions budgétaires s’apparentent à un fonds dédié à l’entretien qui assurera à la collectivité qu’en fin de terme elle héritera d’une infrastructure en bon état lui ajoutant plusieurs années de vie utile, si évidemment l’on poursuit le programme d’entretien. La figure 1 présente un flux financier typique pour l’entretien et la réhabilitation d’une infrastructure routière.Sur ce graphique, l’entretien routinier annuel représente environ 1,5 % du budget total d’exploitation de l’infrastructure sur la durée de la concession. Une première réhabilitation est prévue à l’an 13 et plus de 2 % du coût total y sera consacré.1 Dans les trois dernières années de la concession, plus de 13 % (7 %, 4 %, et 2 %) des investissements seront consentis à la réhabilitation afin de remettre à l’État un ouvrage conforme aux exigences de l’entente de partenariat.

Pour le projet de parachèvement de l’autoroute 25 (A25) reliant l’île de Montréal et Laval par un pont enjambant la Rivière-des-Prairies, le concessionnaire a réuni le concepteur, le constructeur et l’exploitant dès le début de la période de préparation de sa proposition. Les sociétés préqualifiées par les autorités de l’État étant mises en concurrence, les soumissionnaires avaient tout intérêt à trouver le point d’équilibre entre les coûts de construction et les coûts d’exploitation (entretien et réhabilitation). Le concepteur-constructeur devait s’engager auprès du concessionnaire à livrer à temps un ouvrage à un prix ferme prédéterminé, cet ouvrage devant être exploité par une entreprise qui de son côté s’engageait, aussi pour un prix ferme et déterminé, à maintenir le niveau de service spécifié au concessionnaire par le partenaire public. Les obligations qui se créent entre les différents partenaires et les garanties financières (lettres de crédit, par exemple) qui les accompagnent font en sorte que l’on aura pris en considération le cycle de vie complet de l’infrastructure. Qui plus est, l’obligation de remettre en fin de terme aux autorités un ouvrage « remis à neuf » incite l’exploitant à mettre en place un programme d’entretien préventif qui s’avérera beaucoup moins coûteux que des interventions de fin de terme sur des ouvrages que l’on a laissés se détériorer. Cet exercice d’optimisation dès la phasse initiale du projet a permis au concessionnaire d’élaborer et de proposer à l’État le modèle financier présentant la meilleure valeur actualisée ainsi que le paiement de disponibilité le plus bas et, donc, d’être retenu comme partenaire privé.

Le projet de parachèvement de l’A25 se prêtait bien à un tel mode de réalisation. La longueur du tronçon (7,2 km) et sa faible dépendance au réseau actuel faisaient en sorte qu’il était rentable d’en confier l’exploitation au partenaire privé.

Assurer le maintien de l’actif pour d’autres modes de réalisation

Il existe d’autres modes de réalisation permettant de maintenir la valeur de l’actif de projets d’infrastructures que l’on ne peut mettre en concession ou qui ne génèrent pas leurs propres revenus. Par exemple, pour une structure fortement liée au réseau dont l’exploitation ne pourrait être économiquement viable, on pourrait envisager de confier la conception-construction et l’entretien à un même groupe. Et pour assurer que le groupe respecte ses obligations, on pourrait aussi envisager d’y inclure le financement de l’ouvrage sur la période visée en contrepartie d’un paiement de disponibilité lié à la performance et au respect des exigences.

En ce qui a trait aux ouvrages réalisés en mode traditionnel, l’annualisation des budgets votés par le Parlement rend plus incertaine la disponibilité de budgets consacrés à l’entretien des ouvrages. Selon les priorités gouvernementales de l’année en cours, ces budgets seront amputés ou augmentés, ce qui rend très difficile, voire impossible de mettre en place des flux financiers consacrés à l’entretien comme celui présenté à la figure 1. De plus, la courbe des dépenses d’exploitation, unique pour chaque ouvrage, est intimement liée aux dépenses en immobilisations consenties lors de la conception et de la construction. Une piste de solution à envisager pour assurer le maintien des actifs réalisés en mode traditionnel serait de mettre en place un organisme (une agence publique) qui aurait la responsabilité d’élaborer le plan d’entretien de tout nouvel ouvrage et d’en établir le budget correspondant. Il faudrait aussi sans doute confier à cet organisme la supervision de la conception et de la construction de l’infrastructure pour qu’elle puisse s’assurer que la valeur totale actualisée des dépenses en immobilisations et d’exploitation soit la plus basse. Ainsi, lors de l’étude d’un nouveau projet, soit de développement, soit de réhabilitation majeure, nous devrions considérer tous les coûts et nous assurer que nous en avons bien les moyens. Il est évidemment essentiel que le financement des activités et des responsabilités d’un tel organisme soit assuré en continu, à la hauteur des besoins relevés. Ces sources de financement devraient être liées à l’utilisation de l’infrastructure par les usagers (taxes, droits de permis, péage direct ou système d’adossement, par exemple).

L’importance d’agir

Quel que soit le mode de réalisation et de financement utilisé, il est important d’éviter aux générations futures l’effet d’entonnoir que nous connaissons actuellement. Si nous ne tirons pas profit des leçons apprises, nous nous retrouverons certainement dans une situation similaire dans une trentaine d’années à la suite des investissements massifs consentis dans un court laps de temps pour réhabiliter les ouvrages. Si nous calculions la valeur actualisée des dépenses en capital et des frais d’exploitation d’ouvrages comme l’échangeur Turcot ou le pont Champlain et les comparions au coût d’un programme d’entretien préventif et de réhabilitation ciblée, nous constaterions de très grandes économies à aller chercher. Développons notre sens du lointain et donnons-nous les moyens de continuer à développer des infrastructures de transport efficaces et performantes qui continueront d’assurer la vitalité économique de l’ensemble de notre collectivité.

1 - Le pourcentage du coût de réhabilitation s’établit en soustrayant 2 % (0,5 % d’administration + 1,5 % d’entretien routinier) au pourcentage du coût total.

Sur la toile

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